EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’eau n’est pas une marchandise comme les autres. C’est un bien commun, un élément vital pour l’humanité. Cette affirmation, bien qu’elle paraisse évidente, est contrebalancée par des utilisations abusives et des modes de gestion de l’eau très différents.
L’eau : une ressource à gérer en proximité
Nous le savons désormais, les conséquences du changement climatique rythmeront nos modes de vie, d’habitat, de consommation pour les décennies qui viennent. Depuis le printemps 2022, l’accès à l’eau potable est devenu un enjeu majeur pour l’ensemble du territoire national. La sécheresse inédite à l’été 2022 en a été l’illustration : 93 départements ont été obligés d’adopter des restrictions d’eau et 75 départements ont subi des situations de crise. 117 communes ont été privées d’eau potable. Nous savons que l’hiver 2022‑2023, particulièrement sec, aura des conséquences sur la disponibilité en eau potable à partir du printemps.
La préservation, l’accès et la gestion raisonnée, qualitativement et quantitativement, de l’eau sont indispensables pour l’alimentation, la biodiversité, la protection environnementale.
Dans ce contexte de tension sur la disponibilité de la ressource en eau, les questionnements sur les modes de gestion de l’eau sont réapparus de manière récurrente dans le débat public.
Nous considérons que l’eau est une ressource à gérer en proximité, notamment pour les territoires ruraux. La « différenciation territoriale », aujourd’hui mise en avant par le Gouvernement et acceptée, doit s’appliquer sur les compétences « eau et assainissement » des collectivités. De plus, la « technicisation » à l’extrême de la gouvernance de l’eau contribue à dépolitiser cet enjeu. Or, ce sont précisément les élus locaux, municipaux notamment, qui sont les plus légitimes pour décider de la manière dont ils souhaitent que l’eau soit gérée. Si une gestion locale organisée en syndicat intercommunal est vertueuse, pourquoi imposer un autre fonctionnement ? Laissons‑les élus décider de leur politique publique et définir ce qui est efficient pour leur territoire. Il faut prendre en compte les réalités territoriales différentes et ne pas imposer de posture nationale qui serait inadaptée, notamment dans les territoires ruraux.
Pour nous, cette ressource aux enjeux à la fois économiques, sociaux et environnementaux doit être préservée des lois du marché. Et sa gestion publique locale, depuis son captage jusqu’à la distribution aux usagers, est un élément fondamental pour l’avenir. C’est et ce sera demain, une condition essentielle de son accessibilité, en qualité et en quantité suffisante pour tous, dans des conditions équitables sur l’ensemble du territoire, sans servir les logiques de rente ou de profit.
En France, plus de la moitié des usagers de l’eau potable sont concernés par une délégation de service public confiée à un des 3 grands groupes industriels. Globalement, les modes de gestion publique directe permettent aux usagers de bénéficier d’un prix moyen de l’eau potable nettement inférieur, même si ces modes de gestion révèlent des situations très différentes au regard des contextes géographiques et des coopérations mises en place (régies communales, syndicats intercommunaux, groupement de syndicats et interconnexions…).
Une obligation de transfert aux intercommunalités injustifiée
Le transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) imposé par la loi n° 2015‑991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) avant le 1er janvier 2020, a suscité beaucoup d’incompréhension et de colère de la part des associations d’élus, des maires et des élus municipaux impliqués dans la gestion publique locale.
Sept ans après la loi NOTRe, une large majorité des communes membres d’une communauté de communes ne souhaitent toujours pas renoncer à leurs prérogatives en la matière : selon les chiffres de la DGCL, seules 33 % des communautés de communes exercent à ce jour la compétence « eau », et 41 % la compétence « assainissement collectif ». Ces chiffres démontrent que le transfert obligatoire ne satisfait aucun besoin général exprimé par les communes et les communautés de communes.
En effet, aucune réelle justification n’a pu être avancée quant à l’intérêt de démanteler des modes de gestion publique locale efficaces, que ce soit par les communes ou par des syndicats intercommunaux. Cette gestion directe ou ces coopérations, en particulier sur les territoires ruraux, ont dans la plupart des cas été guidées par la capacité d’accès à la ressource et à sa distribution dans les meilleures conditions techniques et tarifaires, donc sur la base de périmètres pertinents à l’échelle municipale, et le plus souvent à l’échelle d’un même bassin-versant ou hydrographique lorsqu’il s’agit d’un syndicat intercommunal.
Ainsi, le caractère totalement artificiel du périmètre de gestion des EPCI remet clairement en cause la gestion publique et la distribution de l’eau potable assurée efficacement et à moindre coût pour les habitants, et le fait qu’elle soit décidée et organisée localement par les communes, premier échelon de la démocratie.
Grâce à la très forte mobilisation communale, en particulier celle des élus ruraux et de leurs administrés, un front très large s’est constitué pour demander que l’on revienne sur ce transfert obligatoire de compétence et que l’on permette à chaque commune de décider librement de son mode de gestion.
À deux reprises, le Gouvernement a donc été contraint de revenir sur la mise en application de ce transfert obligatoire :
– En 2018, avec la loi n° 2018‑702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes, permettant aux communes de repousser à 2026 la mise en œuvre de ce transfert par délibération sous certaines conditions de représentation, avec une minorité de blocage fixée à 25 % des communes membres de l’EPCI représentant au moins 20 % de la population,
– En 2019, avec l’article 14 de la loi n° 2019‑1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, avec la possibilité offerte aux EPCI de re‑déléguer par convention la gestion des compétences « eau » et « assainissement » aux communes ou syndicats intercommunaux dans certaines conditions et de maintenir les syndicats intercommunaux.
Ces deux reculs gouvernementaux prouvent combien le transfert de compétences imposé par la loi NOTRe relevait bien plus d’une attaque contre la gestion publique locale de l’eau que de la défense de l’intérêt des usagers et de la préservation de la ressource.
Il met en évidence le danger de la privatisation face à des intercommunalités qui n’ont ni les moyens ni le personnel pour en assurer la gestion. Même si l’EPCI décide de déléguer à un syndicat existant la gestion, la compétence et le financement restent du côté de l’EPCI. Un opérateur public aura toujours intérêt à tendre vers une économie de la ressource contrairement à une entreprise privée qui cherchera à maximiser son profit.
Il n’en demeure pas moins que le transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux EPCI continue de s’imposer et reste toujours fixé à 2026.
Aussi la présente proposition de loi vient réaffirmer le principe élémentaire de liberté communale.
Son article unique prévoit de supprimer le caractère obligatoire du transfert de compétences aux EPCI inscrit dans la loi NOTRe.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
L’article L. 5214‑16 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Les 6° et 7° du I sont abrogés ;
2° Les quatre derniers alinéas du même I sont supprimés ;
3° Les 6° et 7° du II sont rétablis dans la rédaction suivante :
« 6° Assainissement ;
« 7° Eau : ».