Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
J’ai l’honneur de vous présenter cet après-midi l’un des pans de la grande mission d’évaluation qui avait été lancée, avant la dissolution, sur les lois santé OTSS et Rist 1.
Cette mission d’évaluation a connu bien des péripéties. A titre personnel, j’ai insisté pour que nous puissions nous concentrer sur l’évalution d’un article de l’article de la loi OTSS qui me paraissait essentiel et, paradoxalement, largement en-dehors de notre radar.
Il s’agit de l’article 35 de la loi OTSS, qui a lancé la réforme des hôpitaux de proximité. Ces hôpitaux sont souvent, à tort, assimilés aux anciens hôpitaux locaux. En réalité, la loi OTSS a introduit un changement de paradigme dans la définition de cette catégorie.
Alors que les hôpitaux locaux n’étaient souvent caractérisés que par l’étiolement de leur offre de soins, la réforme de 2019 a défini les hôpitaux de proximité par leurs missions, qui sont centrées sur la réponse aux besoins de santé de la population en lien avec la ville, dans une optique de responsabilité territoriale partagée.
Désormais, les hôpitaux de proximité sont désignés au terme d’une procédure de labellisation conduite par les ARS. Ils doivent, pour cela, faire la preuve d’un projet d’établissement tourné vers la ville et le territoire, et avoir un plateau technique d’imagerie et de biologie médicale, et des lits d’hospitalisation en médecine polyvalente. En revanche, ils ne peuvent avoir aucune activité de chirurgie et d’obstétrique.
L’idée est donc d’organiser autour de ces établissements l’accès aux soins de premier recours, en particulier dans les zones rurales ou semi-rurales, pour prendre en charge en proximité les soins moins complexes, le suivi des pathologies chroniques et les soins gériatriques.
Je précise que les établissements peuvent postuler indépendamment de leur statut, public, privé non lucratif ou privé lucratif. Il peut même s’agir simplement d’un site géographique d’un établissement plus gros, comme un CHU.
Le point intéressant de cette réforme, c’est que, pour une fois, on ne s’est pas contenté de donner des nouvelles missions, en disant aux établissements de se débrouiller. On a adossé ces missions à un nouveau modèle de financement. Et je dois reconnaître que, même si c’est toujours perfectible – et j’y viendrai – ce modèle de financement est intéressant.
On a décidé que les hôpitaux de proximité seraient financés par deux grandes dotations. A titre principal, une dotation forfaitaire garantie, qui correspond en général à la moyenne des recettes tirées de l’activité au cours des années précédentes. Ce qui est important, c’est que cette dotation est garantie sur 3 ans, et qu’elle est donc déconnectée de la T2A. Ça sécurise le financement de ces petits hôpitaux dont les recettes d’activité sont souvent fluctuantes, et ça leur donne de la visibilité pour leur politique de ressources humaines et leurs investissements.
Par ailleurs, les hôpitaux de proximité sont financés, pour environ 5% de leur budget, par une dotation de responsabilité territoriale, qui est destinée à financer leurs missions spécifiques. Le calcul de cette dotation, qui comprend une part fixe et une part variable, est à la main des ARS. Elle doit permettre de financer la mise en place de consultations avancées de spécialité, l’accès à des plateaux techniques d’imagerie et de biologie médicale, des outils de télésanté ou encore les indemnités versées aux praticiens libéraux intervenant à l’hôpital.
Cette dotation, elle est relativement modeste : 65 millions d’euros à l’échelle nationale. Mais elle est intéressante parce qu’elle est totalement déconnectée de la T2A, et assise sur des critères populationnels et sur des objectifs concrets en termes d’accès aux soins.
Voilà, à grands traits, en quoi consiste la réforme qui a été lancée en 2019. Je dis « lancée », parce la définition plus précise des contours de la réforme a duré 3 ans, avec la crise sanitaire qui s’est interposée. Le modèle de financement a été voté en LFSS pour 2020. Puis une ordonnance du 12 mai 2021 a défini plus précisément la procédure de labellisation et les obligations et missions des hôpitaux de proximité. Les textes réglementaires, enfin, datent de 2022.
Malgré ces débuts un peu lents, la réforme semble avoir plutôt bien pris. Dans un contexte où il n’y a pas beaucoup d’information centralisée sur le sujet, j’ai enquêté auprès de l’ensemble des ARS de l’Hexagone, que j’ai aussi auditionnées, puisque ce sont elles qui sont chargées de la mise en œuvre et de l’évaluation de cette réforme.
Dans l’ensemble, elles ont toutes mené à bien leurs procédures de labellisation, et sont parvenues à un maillage à peu près stabilisé des hôpitaux de proximité sur leur territoire. On observe quand même un volontarisme plus ou moins important des ARS, certaines ayant fait en sorte de recréer des autorisations de lits de médecine pour permettre à des hôpitaux d’être labellisés, alors que d’autres non. Toujours est-il qu’en juillet dernier, on comptait 327 hôpitaux de proximité, dont 276 de statut public, 38 établissements privés à but non lucratif, et 13 cliniques à but lucratif.
J’ai été surpris de constater, lors de mes auditions, que la réforme des hôpitaux de proximité semblait faire l’unanimité, chez les fédérations hospitalières, chez les professionnels de la ville, chez les ARS, en passant par les élus locaux. Tous ont considéré que cette réforme était plutôt une réussite, dans sa conception et sans sa mise en œuvre.
Elle a contribué à redonner ses lettres de noblesse à la proximité, en marquant un engagement politique en faveur de la pérennisation d’une offre de soins hospitalière de proximité – à rebours du mouvement de centralisation porté par les GHT. Par ailleurs, la réforme a forcé l’hôpital à s’ouvrir sur son territoire pour mieux répondre aux besoins de soins de la population, ce qui correspond bien à la dynamique que nous recherchons aujourd’hui.
Et dans les territoires, cela fonctionne ! Cela prend du temps mais, petit à petit, les acteurs de la ville et de l’hôpital apprennent à se parler et à se connaître, puis ils commencent à monter des projets ensemble. J’ai un exemple éloquent de cela dans mon territoire, avec l’hôpital Cœur du Bourbonnais, qui fonctionne déjà avec un niveau d’imbrication très important avec les médecins libéraux, ce qui a permis de recréer une attractivité pour les professionnels.
Et ça fonctionne aussi parce qu’on a embarqué les élus du territoire. Souvent, ils ont pris une part active dans la procédure de labellisation de leur hôpital. Souvent, ils sont impliqués dans les projets qui associent la ville et l’hôpital. Cette réforme a donc aussi présenté un réel bénéfice sur le plan de la démocratie sanitaire.
Vous l’aurez compris, une fois n’est pas coutume, mon évaluation se solde par un satisfecit global en faveur de la réforme des hôpitaux de proximité, dans un contexte par ailleurs un peu morose pour l’hôpital public.
Pour autant, cela ne signifie pas que tout est parfait, loin s’en faut. Le modèle des hôpitaux de proximité demeure fragile et, si nous n’y prenons pas garde, cette bonne réforme pourrait se solder par un échec ou, en tous cas, ne pas porter les fruits attendus. Pourquoi ?
Premièrement, parce que le modèle de financement que je vous ai exposé ne sécurise que l’activité de médecine des hôpitaux de proximité. Or, ce sont, dans la très grande majorité des cas, des établissements avec une activité médico-sociale dominante. Comme on nous l’a dit en audition, et nous le savons tous, « on n’a pas la même performance de financement sur le champ médico-social », et c’est un euphémisme.
Les hôpitaux de proximité ont souvent une activité importante voire dominante de soins médicaux et de réadatation (SMR), dont le financement est en cours de réforme, avec des effets finaux qui ne sont pas encore bien appréhendés par tous. Par ailleurs, ils ont souvent des services à domicile et des Ehpad rattachés qui, pour le coup, vont mal, voire très mal. La conclusion, c’est que si on ne prévoit pas des modalités de financement viables sur le champ de l’autonomie, on ne pourra pas empêcher ces établissements de couler.
Deuxième point de fragilité, la faible capacité de l’hôpital à recruter des médecins dans un contexte de désertification médicale sur de nombreux territoires. Quand les médecins libéraux sont déjà débordés, c’est encore plus dur de leur demander de coopérer avec l’hôpital qui, en plus, ne peut pas proposer le même niveau de rémunération. Je pense que toute tentative de décloisonnement de l’hôpital va forcément buter sur cette question des différences de rémunération entre la ville et l’hôpital, surtout dans un contexte où les dépassements d’honoraires explosent en ville. Nous allons devoir nous atteler à cette question qui dépasse largement la problématique des hôpitaux de proximité.
Troisième point de fragilité majeur à mon sens : l’engagement politique que nous allons avoir en faveur de cette réforme, dans un contexte où l’Ondam est plus contraint chaque année. Déjà, le budget global de la dotation de responsabilité territoriale des hôpitaux de proximité a été gelé depuis 2022 alors que le nombre d’établissements a augmenté. Cela veut dire que la somme disponible pour chaque établissement se réduit tendanciellement, alors même que tout le monde nous dit que c’est déjà peu pour financer les missions prévues par la loi, et qui sont essentielles.
Un engagement politique pour cette réforme impliquera donc de revaloriser cette dotation pour qu’elle permette effectivement aux hôpitaux de mettre en œuvre leurs missions. Evidemment, il faudra s’assurer qu’ils le fassent vraiment, et c’est un point que je souligne dans ma communication : il faut que les ARS jouent leur rôle d’évaluation des hôpitaux, pour qu’on ait une idée plus précise des projets qui sont mis en place, mais aussi des obstacles rencontrés.
J’appelle par ailleurs à quelques ajustements techniques de la réforme, comme l’alignement des cycles de financement des hôpitaux labellisés à des dates différentes, ou l’adoption des textes réglementaires permettant à certains hôpitaux de proximité de conserver une petite activité de chirurgie programmée. Je rappelle que cette dérogation était prévue par la loi et qu’elle n’a pas été mise en œuvre.
Pour conclure, je nous incite donc collectivement à réaffirmer l’engagement de la Nation pour ces hôpitaux de proximité qui répondent à un besoin vital d’accès aux soins dans des territoires aujourd’hui souvent désertifiés. Et je pense par ailleurs que nous pourrions nous inspirer des grandes caractéristiques de cette réforme pour les évolutions à venir dans le système de soins : co-construction de la réforme avec les acteurs et avec les élus, dans le respect de la démocratie sanitaire ; sortie de la logique productiviste de la T2A, au profit d’une approche populationnelle ; mise en place d’un financement pluriannuel, qui sécurise et donne de la visibilité aux acteurs.
Je vous remercie.