Créer une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises

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EXPOSÉ DES MOTIFS

La France est confrontée à son plus grand défi depuis l’après‑guerre : mettre en œuvre sa bifurcation écologique et énergétique et s’adapter aux conséquences déjà irréversibles du changement climatique.

La France est aussi confrontée à une crise sociale et à un affaiblissement structurel de ses services publics, comme l’ont mis en lumière les deux années d’épidémie de Covid‑19 concernant notre système de santé.

Notre pays est enfin confronté à une guerre à l’est de l’Europe et à ses conséquences économiques désormais omniprésentes pour un grand nombre de Françaises et de Français au quotidien.

Notre Nation est donc à la croisée des chemins.

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L’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ».

Ainsi, pour garantir un service public de proximité et de qualité, protéger les moyens d’existence des Françaises et des Français, lutter contre les inégalités, soutenir l’activité économique et financer la transition écologique, l’État doit pouvoir disposer de moyens proportionnés à ces défis, que les citoyennes et citoyens lui consentent par l’impôt.

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L’épidémie de Covid‑19, la guerre en Ukraine et les pratiques spéculatives de certains acteurs économiques et financiers ont déstabilisé la production de certaines matières premières et les flux commerciaux et ont fini par générer des situations de pénurie, entraînant une volatilité des prix permettant à de nombreuses entreprises de réaliser des bénéfices exceptionnels, également appelés « superprofits ».

Ainsi, alors que les économies mondiales connaissaient une forte récession en 2020, le groupe Sanofi voyait ses bénéfices progresser de 338 % par rapport à 2019, malgré l’absence de mise sur le marché d’un vaccin contre la Covid‑19. Quant au groupe Total Energies, son bénéfice du 1er semestre 2022 progresse lui de 122 % par rapport à 2021. Enfin, l’armateur CMA‑CGM a dégagé au premier semestre 2022 un profit net de 14,7 milliards de dollars, soit presque autant que pour l’ensemble de l’exercice 2021, marqué déjà par des résultats exceptionnels.

Dans plusieurs secteurs tels que les transports, l’énergie, l’alimentation ou la finance, des bénéfices exceptionnels, décorrélés de toute innovation, gain de productivité ou décision stratégique interne à l’entreprise, ont ainsi été réalisés.

Parce qu’ils ont été réalisés grâce à des crises dont la puissance publique doit, elle, atténuer les effets, ces bénéfices exceptionnels doivent être appelés à une juste contribution.

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Une telle contribution des entreprises qui se sont enrichies en période de crise ou de guerre ne serait pas nouvelle.

Ainsi, la loi du 1er juillet 1916 instaurait déjà une contribution extraordinaire sur les bénéfices exceptionnels ou supplémentaires réalisés pendant la Première Guerre mondiale afin de financer l’effort de guerre.

L’ordonnance du 15 août 1945 instaurait, elle, un impôt de solidarité nationale sur les patrimoines et les enrichissements réalisés entre 1940 et 1945. C’est, au demeurant, au sortir de la Seconde Guerre mondiale que le Préambule de la Constitution de 1946 proclame en son douzième alinéa que « La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ».

Par ailleurs, la France ne serait pas la seule Nation à mettre aujourd’hui en œuvre une telle taxation puisque l’Espagne, l’Italie ou encore la Grande‑Bretagne ont d’ores et déjà adopté une telle contribution sur les superprofits.

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Imposer les bénéfices exceptionnels doit par ailleurs être considéré comme une réforme relative à la politique économique.

Les « superprofits » réapparaissent à chaque crise majeure. Sans taxation, ils conduisent inévitablement à des records de distributions de dividendes et de rachats d’actions. Ainsi, en 2021, les entreprises du CAC 40 ont distribué pour 45,6 milliards d’euros de dividendes, la deuxième meilleure année du XXIe siècle et un doublement du niveau moyen des rachats d’action. Un pic qui n’avait pas été vu depuis… la crise des subprimes de 2007‑2008.

Une contribution insuffisante des entreprises sur leurs superprofits autorise une rémunération anormale des actionnaires et affecte le consentement à l’impôt des citoyens au regard du décalage qu’ils perçoivent entre leur contribution et celle de ces entreprises. Ce consentement est d’ores et déjà affaibli par les révélations successives sur les schémas d’optimisation et d’évasion fiscale de grandes entreprises, comme à l’occasion de la publication de l’enquête nommée « Paradise Papers », qui a notamment révélé que le groupe Total Energies n’a pas payé d’impôt sur les sociétés en 2020 et en 2021.

Ainsi, les auteurs et autrices de la présente proposition de loi estiment qu’il est nécessaire de réformer notre politique économique, afin d’instaurer une contribution des superprofits réalisés en période de crise ou du fait de circonstances exceptionnelles, à l’aune des biais économiques qu’ils engendrent, des enjeux de financement de nos politiques publiques et de l’impératif de juste contribution à l’impôt.

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Il serait souhaitable que le produit de cette contribution permette, outre une juste redistribution économique et sociale des richesses créées, le renforcement des moyens de nos services publics de proximité, une meilleure protection de nos concitoyens face aux effets des crises que nous traversons et le financement des grands investissements nécessaires à notre bifurcation écologique et énergétique.

Si le cadre constitutionnel dans lequel s’inscrit la présente proposition de loi ne permet pas de proposer en droit une telle affectation, ses autrices et auteurs s’engagent à porter une telle orientation dans les débats parlementaires portant sur les lois de finances.

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L’article unique de la proposition de loi déposée en application de l’article 11 de la Constitution prévoit ainsi la création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises.

Sont assujetties les sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros et dont le résultat imposable de l’exercice considéré est supérieur ou égal à 1,25 fois le résultat imposable moyen des exercices 2017, 2018 et 2019.

Les auteurs et autrices de la proposition de loi ont choisi de retenir un référentiel triennal permettant de neutraliser certaines évolutions ponctuelles, sur la base des derniers exercices antérieurs à la pandémie de Covid‑19 et à la guerre en Ukraine.

Le seuil de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires permet quant à lui d’asseoir la taxe sur les seules grandes entreprises, le plus souvent multinationales, conformément à la volonté des auteurs et autrices de la présente proposition de loi de ne pas cibler les TPE et PME.

Ce seuil est d’ailleurs celui retenu par la Directive UE 2021/2101 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2021 comme seuil d’assujettissement des entreprises et succursales pour la déclaration des informations relatives à l’impôt sur les revenus des sociétés, ainsi que celui déjà inscrit à l’article 223 quinquies C du code général des impôts pour l’assujettissement à la déclaration pays par pays (CbCR). Il s’agit également du seuil retenu par la Commission européenne pour le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) et, enfin, par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le G20 pour l’imposition mondiale minimale de 15 % sur les bénéfices.

Seul le bénéfice exceptionnel, c’est‑à‑dire le profit supplémentaire réalisé par rapport à 1,25 fois la moyenne triennale retenue, est ainsi imposé.

Le dispositif retient un mécanisme progressif, sans effets de seuil, avec trois taux marginaux applicables selon la fraction de progression du résultat imposable. Un premier taux à 20 % pour la fraction des superprofits correspondant à une hausse par rapport à la moyenne comprise entre 1,25 et 1,5 fois la moyenne triennale retenue, un taux de 25 % entre 1,5 et 1,75 fois cette moyenne et un taux de 33 % au‑delà de 1,75 fois la moyenne triennale retenue.

Le taux plafond de 33 % pour la tranche supérieure du bénéfice exceptionnel s’aligne sur le taux de contribution européen évoqué par la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, dans son discours sur l’état de l’Union du 14 septembre 2022.

Les réductions et crédits d’impôt et les créances fiscales de toute nature ne sont pas imputables sur la contribution.

Sont exclus de la contribution les profits entraînant l’assujettissement de la société à celle‑ci mais résultant d’opérations d’acquisition ou de cession d’actifs, pour la fraction imposable correspondante. Ainsi, une entreprise qui absorberait une autre société ou cèderait une activité déficitaire pourrait voir son bénéfice bondir du fait de ces opérations sans lien avec l’objectif de la proposition de loi. Il s’agit donc de circonscrire au mieux le champ d’application du dispositif à son objet. Si d’autres situations peuvent affecter le résultat imposable (gains de productivité, économies de gestion, etc.), elles sont peu susceptibles de générer une variation telle qu’elles entraînent à elle seule l’assujettissement à la contribution créée.

En cohérence avec le caractère temporaire des crises qui génèrent ces superprofits, la réforme proposée est également bornée dans le temps. Il est ainsi proposé qu’elle s’applique jusqu’au 31 décembre 2025, donc jusqu’aux résultats imposables réalisés en 2024. Cet horizon correspond à ce que les économistes anticipent comme échéance probable de retour à une certaine normalité de la situation économique.

En prévoyant un rapport d’évaluation intermédiaire ainsi qu’un rapport à l’expiration du dispositif, l’article donne les moyens au Parlement d’apporter d’éventuelles modifications législatives en cours d’application et assure la bonne information des citoyennes et citoyens et de leurs représentants quant au bilan de l’application de la réforme.

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Sur la recevabilité de la présente proposition de loi déposée en application de l’article 11 de la Constitution :

1° L’alinéa 3 de l’article 11 de la Constitution prévoit que : « Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. ».

2° La présente proposition de loi n’a pas pour objet d’abroger une disposition législative et encore moins une disposition qui aurait été promulguée depuis moins d’un an.

3° Aux termes de l’alinéa 1er de ce même article, l’initiative ne peut donc porter que sur : « l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. »

Dans un contexte de réduction continue de l’imposition des entreprises et d’insuffisance des contributions fiscales au financement des administrations publiques, elle propose une réforme de notre politique économique en définissant et en instaurant une taxation exceptionnelle des superprofits réalisés par les entreprises.

Cette proposition s’inscrit à cet égard dans le cadre des possibilités de référendum ouvertes par la réforme constitutionnelle de 1995 à propos de laquelle le garde des Sceaux de l’époque avait déclaré : « Le référendum doit être utilisé pour résoudre des questions capitales, à des moments stratégiques […] La France doit faire face à d’autres défis, le principal étant de concilier l’efficacité économique, l’ouverture au monde extérieur et la cohésion de la société. ».

Si les constituants de 1995 n’ont pas défini la notion de « réforme relative à la politique économique », les débats parlementaires de l’époque ont permis d’exclure que puissent, sur ce nouveau fondement, être organisés des référendums sur des sujets touchant à la souveraineté, la défense, la justice, le droit pénal ou encore les lois de finances. Tel n’est pas le cas de cette initiative dont l’objet est d’instaurer une nouvelle imposition au sens du 5e alinéa de l’article 34 de la Constitution en vertu duquel « la loi fixe les règles concernant […] l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d’émission de la monnaie. ».

Il est à cet égard remarquable que la notion d’économie n’apparaisse pas dans l’article définissant la compétence inexpugnable du Parlement. Force est alors d’en déduire que les politiques économiques englobent des mesures relevant de diverses matières : fiscale, monétaire, commerciale, etc…

À ce sujet, l’article 70 de la Constitution mérite notre attention. Il dispose que le « Conseil économique, social et environnemental peut être consulté par le Gouvernement et le Parlement sur tout problème de caractère économique, social ou environnemental ». Aucune référence n’est donc faite au champ fiscal. Pourtant, le CESE compte aujourd’hui en son sein une commission permanente « Économie et finances » compétente en matière de fiscalité. Auparavant, une commission spécifique « Finances » existait et avait par exemple été sollicitée par le Gouvernement au milieu des années 1970 pour rendre un rapport (adopté le 17 décembre 1975) sur une imposition généralisée des plus‑values. La preuve est donc faite que la notion d’économie dans la Constitution englobe celle de fiscalité.

Enfin, le Préambule de la Constitution de 1946 mérite également d’être évoqué à l’appui de cette démonstration puisqu’au rang des « principes économiques et sociaux particulièrement nécessaire à notre temps », il place en son alinéa 12, et comme cela a déjà été rappelé plus haut, celui en vertu duquel « La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales. ».

4° Quant à la rédaction de la disposition fiscale, la rédaction de l’article unique précise clairement la nature de la contribution, son assiette et son taux, les modalités de contrôle et de recouvrement de la contribution, son application dans le temps et prévoit son évaluation. Elle satisfait ainsi aux impératifs de prévisibilité propres à la matière fiscale.

La rédaction de l’article unique est en grande partie inspirée du dispositif de l’article 1er de la loi n° 2017‑1640 du 1er décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 qui a fait l’objet d’un contrôle au fond par le Conseil constitutionnel (n° 2017‑755 DC du 29 novembre 2017).

5° Suivant la jurisprudence et les exigences du Conseil constitutionnel et au regard du principe constitutionnel d’égalité, les auteurs et autrices de la présente proposition de loi ont tout particulièrement veillé à ce que les différences de traitement visant les entreprises concernées soient en rapport direct avec l’objectif d’intérêt général poursuivi.

C’est pourquoi cette proposition de loi ne vise qu’un nombre restreint d’entreprises. Deux critères d’assujettissement sont en effet prévus : d’une part un chiffre d’affaires sur l’année considérée supérieur à 750 millions d’euros et, d’autre part, une croissance des bénéfices sur cette même année par rapport à la moyenne des bénéfices réalisés avant la crise économique générée par l’épidémie de Covid‑19, soit sur les années 2017 à 2019, d’au moins 1,25 fois cette moyenne triennale.

Le cumul de ces deux critères garantit que les entreprises ainsi assujetties seront les grandes entreprises, majoritairement multinationales et celles dont la croissance des bénéfices est la plus directement liée aux crises récentes. Elle exclut ainsi les petites et moyennes entreprises, dont les bénéfices auraient pu croître.

Si toutes les entreprises entrant dans le périmètre de la présente proposition de loi n’auront pas exclusivement bénéficié des contextes de crise pour générer des bénéfices exceptionnels, la présente proposition de loi entend également et plus généralement mettre à contribution l’ensemble des grandes entreprises dont les bénéfices sont notablement plus élevés que sur la période 2017‑2019 au regard de l’objectif de juste redistribution des richesses créées et de financement des dépenses publiques précitées.

6° De plus, afin de respecter le principe constitutionnel d’absence de charges excessives pesant sur les facultés contributives des contribuables et de proportionnalité, le dispositif prévoit trois tranches de contribution dont le taux est progressif par fraction de progression du résultat imposable par rapport à la moyenne triennale retenue, comme l’impôt sur le revenu.

Le taux supérieur de 33 %, additionné au taux légal d’imposition sur les sociétés de 25 % implique un taux maximal théorique sur la fraction des bénéfices assujettis de 58 %. Un taux en réalité quasiment inatteignable au regard du mécanisme par tranches.

Ainsi, une entreprise A ayant un résultat imposable moyen de 1 milliard d’euros sur la période triennale de référente et de 2 milliards d’euros lors d’un exercice où le dispositif s’appliquerait, soit une progression de 100 %, se verrait imposer au titre de la contribution sur 750 millions d’euros avec un taux de contribution effectif de 26 %, soit un taux d’imposition théorique au titre de l’impôt sur les sociétés pour l’entreprise A de 51 % sur la fraction de résultat assujettie.

Ce taux est sensiblement inférieur au taux « marginal maximal d’imposition des deux tiers » qui « doit être regardé comme le seuil au‑delà duquel une mesure fiscale risque d’être censurée par le juge constitutionnel comme étant confiscatoire ou comme faisant peser une charge excessive sur une catégorie de contribuables en méconnaissance du principe d’égalité » selon l’avis du Conseil d’État du 21 mars 2013 tirant les conclusions de la décision n° 2012‑662 DC du 29 décembre 2012 du Conseil constitutionnel.

En outre, il convient de rappeler à l’appui de plusieurs études, comme le rapport n° 21 de l’Institut des Politiques Publiques de mars 2019 : L’hétérogénéité des taux d’imposition implicites des profits en France : constats et facteurs explicatifs, que le taux d’imposition effectif des grandes entreprises (ici celles dont le chiffre d’affaires dépasse 1,5 milliard d’euros) est sensiblement inférieur au taux légal, s’établissant à 17,8 % dans l’étude précitée.

Dans cette hypothèse, le dispositif proposé impliquerait pour la tranche supérieure de la contribution, un niveau d’imposition effectif inférieur à 50 %, de 43,8 % même dans l’exemple pris supra et comparable par ailleurs au taux de la tranche marginale supérieure de 45 % au titre de l’imposition sur les revenus.

Les différences de traitement proposées sont ainsi proportionnées et en rapport direct avec l’objectif d’intérêt général poursuivi.