EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les collectivités, un premier maillon en difficulté
Elles sont le premier maillon de la République, cette République du quotidien, de la proximité à laquelle nos concitoyens sont si attachés. Chaque jour, elles assurent les services essentiels que sont l’enlèvement des ordures ménagères, la cantine, le versement des prestations sociales, la culture, les transports, le sport, la délivrance des papiers d’identité, la réfection des routes ou la crèche.
Les collectivités territoriales, dont les différents actes de décentralisation ont renforcé le rôle et les compétences sont aujourd’hui les instances qui, par l’ensemble des services publics qu’elles assument, assurent la cohésion entre les citoyens. Entre les régions, les départements ou encore les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI, les fameuses ComCom ou Agglo), une institution s’impose comme centrale dans ce maillage : la commune, premier échelon des collectivités, est encore perçue aujourd’hui comme un territoire d’apaisement démocratique selon une enquête du CEVIPOF de juillet 2021.
Un lien particulier donc, qui unit la commune aux citoyens et qui s’explique d’abord par la forte proximité. Dans les territoires ruraux ou les territoires ultra‑marins, la commune s’avère parfois être la seule présence effective de l’État.
Cette présence s’avère souvent renforcée dans les territoires où les difficultés sociales sont importantes. Là aussi, dans les territoires d’outre‑mer souvent marqués par une conjonction de difficultés économiques et sociales, la commune joue un rôle central pour soutenir et accompagner les habitants les plus en difficultés.
En outre, les collectivités jouent un rôle essentiel dans le développement économique et dans la transition écologique. En effet, 70 % de l’investissement public provient des collectivités locales, en majorité des communes. De par ses caractéristiques, ces investissements profitent en grande partie au tissu économique local, soit directement soit par effet d’entraînement.
Les collectivités territoriales sont donc centrales : elles sont incontournables pour nos concitoyens et constituent un engrenage essentiel dans le développement économique. Leur situation financière est cependant critique, voire très critique pour certaines.
Elles ont d’abord dû surmonter une baisse drastique de 11,2 milliards d’euros de dotation globale de fonctionnement (DGF) entre 2013 et 2017. Ce coup de rabot massif et inédit a profondément fragilisé les collectivités territoriales, a fortiori celles des départements d’outre‑mer.
En effet, dans ces territoires, l’effort demandé aux collectivités a été encore plus important que celui demandé aux collectivités d’hexagone. Les fonds de péréquation prévus à cette époque, pour compenser partiellement les communes les plus fragiles se sont avérés beaucoup plus faibles pour les communes des quatre DOM historiques que pour les communes hexagonales. Une situation incompréhensible aux vues de leurs vulnérabilités financières, qui avait été par ailleurs dénoncée par la Cour des comptes dans un rapport de 2017.
Passé les effets de la chute draconienne des dotations, les collectivités ont subi à partir de 2017 le détricotage de la fiscalité locale (taxe d’habitation, Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises).
En 2020, c’est la crise Covid qui les met une nouvelle fois à l’épreuve avec comme un impératif d’assurer des dépenses de solidarité supplémentaires alors même que leurs recettes s’effondraient.
Désormais, c’est l’inflation qui vient réduire encore les moyens des collectivités. La flambée des prix de l’énergie et des produits alimentaires, la revalorisation du point d’indice ô combien nécessaire ont fait peser en 2022 près de 5 milliards de surcoûts, une situation intenable pour nombre de collectivités.
Face à ces difficultés, le Gouvernement est resté sourd, se murant derrière des arguties techniques et des mesures d’appoint. Affirmant que les collectivités ne subissaient pas pleinement l’inflation, il s’est contenté de compenser à hauteur de 320 millions la hausse du point d’indice pour le bloc communal, une mesure partielle et insuffisante.
Les faits sont en effet têtus. Comme l’indiquait une étude de l’AMF et de la Banque Postale en novembre 2022, l’indice de prix des dépenses communales, communément appelé « panier du maire », a augmenté de 7,2 %, soit plus que l’inflation classique. Aussi, ce chiffre global cache de fortes disparités. Ainsi, certaines collectivités d’outre‑mer, qui font déjà face à des niveaux de prix beaucoup plus élevé dû à l’insularité ou à l’enclavement, font face à une inflation encore plus forte, comme c’est le cas en Guyane.
D’autres communes peuvent également subir plus largement l’inflation selon la répartition de l’inflation. Par exemple, des communes dont la population est plus jeune possèdent davantage d’équipements (crèches, écoles, équipements sportifs) qu’il faut chauffer. Elles sont donc davantage pénalisées par la hausse des prix de l’énergie.
Un exemple concret donne à voir de l’ampleur du choc auquel font face les communes. Prenons celui d’une commune de 26 000 habitants qui consacrait, en 2021, 850 000 euros en fluides et énergies. Elle a vu ces mêmes dépenses atteindre 1,3 million d’euros en 2022, et anticipe une explosion à 1,6 million d’euros en 2023. Dans le même temps, les achats de denrées alimentaires sont passés de 600 000 à 700 000 euros et les dépenses de personnel croîtraient, uniquement du fait de la petite revalorisation du point d’indice, de 800 000 euros. Au global, c’est l’équivalent de 15 à 20 points de taxe foncière pour compenser ces hausses, une compensation pour autant impossible pour beaucoup de villes populaires où les habitants subissent eux aussi l’inflation.
Une année 2023 qui s’inscrit sous de bien mauvais auspices
Dans ces conditions plus que dégradées, l’année en cours s’annonce périlleuse. Contrairement aux attentes, l’inflation ne reflue pas : les prix des contrats énergétiques proposés aux collectivités sont multipliés par 2 ou 3 et l’inflation sur les produits alimentaires dépasse les 10 %. Quant au filet de sécurité, la mesure de compensation prévue par le Gouvernement dans la loi de finances s’avère toujours mal calibrée et clairement insuffisante.
Dès lors, les élus locaux, en particulier les maires, sont livrés à eux‑mêmes et commencent déjà le bricolage pour effectuer les quelques maigres économies encore possibles.
L’un d’eux compte réduire le niveau d’eau des bassins des piscines pour économiser en chauffage quand un autre devrait être contraint de fermer les services accueillant du public 15 minutes plus tôt. Pour beaucoup, l’option de réduire encore le chauffage est exclue, la température de 19 degrés étant déjà une réalité, même dans les écoles. Quant aux investissements publics, ils seront drastiquement réduits faute d’autofinancement disponible.
Loin d’avoir pris conscience de l’importance des collectivités en ces temps troublés et de leurs difficultés, le Gouvernement souhaite même poursuivre leur pressurisation. Ainsi, dans le dernier programme de stabilisation envoyé comme chaque année en juin à la Commission européenne, la France s’est engagée à restreindre drastiquement la croissance de leurs dépenses.
Ainsi, en 2023, la loi de finances et le projet de loi de programmation des finances publiques fixent une croissance des dépenses de fonctionnement des collectivités de 3,8 %. Pour les années à venir, cette croissance sera encore plus faible, et devra atteindre 1,3 % à horizon 2027. Dans tous les cas, les objectifs de croissance fixés s’avèrent inférieurs à l’inflation, ce qui sous‑tend une baisse en termes réels des dépenses de fonctionnement.
Pour arriver à cet objectif de baisse réelle des dépenses, le Gouvernement adaptera les ressources qu’il attribue aux collectivités. La première d’entre elles, la DGF, qui représente entre 12 % et 20 % des ressources selon les collectivités, ne sera ainsi revalorisée en 2023 que de 320 millions d’euros, soit 1,14 %.
Outre les dotations, le Gouvernement projette de réinstaurer un mécanisme de contractualisation avec les collectivités, une nouvelle variante des contrats de Cahors. Ainsi chaque collectivité devra respecter la trajectoire de croissance des dépenses de fonctionnement inscrite dans la loi (modulo quelques ajustements selon les caractéristiques de la collectivité) sous peine de se voir grever d’une partie de sa DGF.
Une telle disposition traduit d’abord une véritable défiance vis‑à‑vis des collectivités territoriales alors même que celles‑ci ne pèsent pas sur les finances publiques globales, bien au contraire. En 2021, les comptes agrégés des collectivités locales et de leurs groupements se sont soldés par un excédent de 3,3 milliards d’euros en 2021.
Cette mesure s’avéra en plus particulièrement nuisible. En prônant une dichotomie ferme entre les dépenses d’investissement, qu’il considère comme de la bonne dépense, et les dépenses de fonctionnement, qu’il considère comme de la mauvaise dépense, Le Gouvernement omet tout simplement que les dépenses de fonctionnement découlent des dépenses d’investissement. Quelle mairie souhaitera construire une bibliothèque si elle ne peut embaucher ensuite les agents qui devront y être affecté ? Cette dichotomie n’a donc pas de sens.
En outre, une telle norme omet qu’une large partie des dépenses de fonctionnement ne sont pas pilotables et leurs montants sont donc indépendants du choix des élus.
La logique de contractualisation, largement remise en cause par la Cour des Comptes dans son rapport annuel sur les finances locales de 2020, est donc inappropriée et inefficace.
L’indexation de la Dotation Globale de Fonctionnement : un dû plus que jamais nécessaire pour les collectivités
Cette proposition de loi vise donc à répondre aux enjeux financiers des collectivités territoriales pour l’année 2023 afin d’assurer chaque année, à minima, un montant constant de dotation en termes réels.
Pour ce faire, cette proposition de loi organique reprend une recommandation partagée par l’ensemble des associations d’élus : l’indexation sur l’inflation de la principale dotation des collectivités territoriales, la DGF.
La DGF a été créée en 1979. De cette date à 2011, la DGF est indexée, soit sur l’inflation soit sur un indice composite. Cependant, la loi de programmation des finances publiques 2011‑2014 a rompu avec cette indexation et mis en place un gel strict des dotations. Cette désindexation aboutira même en 2014, pour la première fois sous la Vème République une diminution de 1,5 milliard qui inaugure la baisse globale de 11,2 milliards citée précédemment.
Depuis 2017, le Gouvernement revendique une stabilité ou une légère hausse de la DGF. Cependant c’est une stabilité ou une hausse en trompe l’œil puisqu’elle fait fi de l’inflation. Pourtant, cette indexation est loin d’être un privilège accordé aux collectivités.
En effet, la DGF est une dotation versée par l’État en substitution d’un ensemble de taxes locales initialement prélevées par les collectivités. Or, ces prélèvements, recentralisés au niveau de l’État, profitent chaque année d’une dynamique, d’une croissance spontanée semblable en moyenne à celle du PIB.
Dès lors, le fait que le montant de la DGF soit dynamique et que sa croissance soit au moins égale à l’inflation ne constitue pas une offrande, mais bien un dû pour les collectivités puisque les recettes de l’État sont dynamiques.
L’indexation est donc un dû pour les collectivités, et relève du bon sens économique. Comme dit précédemment, les dépenses des collectivités subissent elles aussi l’inflation, et parfois plus fortement, comme l’a montré l’étude conjointe de l’AMF et de la Banque Postale mentionnée précédemment. Face à des dépenses, parfois non pilotables, qui s’avèrent dynamiques, il est logique que les recettes suivent pour maintenir un niveau constant de service.
En conséquence, l’article premier de cette proposition de loi organique propose d’ajouter un alinéa supplémentaire à l’article 6 de la loi organique des lois de finances (LOLF) de 2001 garantissant que le montant des prélèvements sur recettes à destination des collectivités territoriales ne puisse être inférieur, à périmètre constant, au montant de l’année précédente majorée de l’inflation.
L’article 2 est l’article de gage.