Estimer les pertes de chances dues aux fermetures des services d’urgence, des maternités et du manque de personnel

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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Lorsqu’on engage une guerre, on s’y engage tout entier, on se mobilise dans l’union. La fatigue est présente, l’angoisse est là pour les soignants, pour leurs collègues, pour leur famille. À l’issue de cette crise, un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital. La nation tout entière est derrière, reconnaissante. »

Emmanuel Macron, Président de la République, au milieu de la crise covid, 2020.

La crise aurait mis en lumière les difficultés de l’hôpital public. Une mise en lumière uniquement auprès de ceux qui n’ont pas voulu voir, puisque fin 2019, un mouvement de grève massif traverse les hôpitaux et services d’urgences en France.

Pour rassembler les troupes, l’exécutif a su trouver les mots. Pourtant, aussitôt la crise passée, les promesses étaient oubliées. Après la « nation reconnaissante », le gouvernement et le président redevenaient sourds aux revendications des soignants.

Depuis la crise sanitaire, tout s’aggrave. Depuis la crise sanitaire, l’hôpital est en crise sanitaire permanente. La moindre épidémie, pourtant récurrente et anticipable, fait replonger le système hospitalier dans une situation de tension insoutenable pour les soignants qui y travaillent. Une grippe, une bronchiolite, peuvent noyer l’hôpital.

Des hivers et des étés de crise permanente

« La bronchiolite vient en plus en pédiatrie, mais on devrait pouvoir l’absorber car c’est tous les ans la même chose. Le covid, on le vit tous les ans depuis 40 ans, du 15 septembre au 15 février. »

Stéphane Dauger, chef du service de réanimation pédiatrique de l’hôpital Robert Debré à Paris, à l’automne 2022.

Quelques jours plus tard, les services pédiatriques se retrouvaient débordés par l’épidémie annuelle de bronchiolite. En Île de France, des enfants, des nourrissons, étaient transportés par les services de SMUR jusqu’à 200 km de leur domicile, faute de place en réanimation.

Malgré les paroles du ministre de la santé de l’époque M. François Braun, qui assurait que ces transferts s’effectuaient « sans danger », la réalité était tout autre. Une pédiatre d’un service de réanimation pédiatrique parisien lui répondait : « On ne peut pas dire que c’est sans danger de transporter des enfants aussi petits dans un état réanimatoire à 2h de l’endroit de la prise en charge. Si jamais l’état de l’enfant se dégrade pendant le transport, on ne fait pas une réanimation d’aussi bonne qualité dans un camion du SAMU que dans un service de réanimation. »

Le même ministre disait devant les médias en juin dernier qu’il abordait l’été avec « sérénité ». Alors que l’été 2022 avait vu des dizaines de services d’urgences fermer sur tout le territoire, alors que tous les signaux auraient dû l’alerter sur le fait que l’été 2023 serait encore pire, le représentant du gouvernement décidait de minimiser voire de nier les problèmes.

Cet été, à Lannion, à Saintes, à Moulins, à Guebwiller, à Saint‑Junien, en Mayenne, dans tout le département de la Manche, et sur la quasi‑totalité du territoire, des services d’urgences fermaient, souvent la nuit, parfois le jour, faute de personnel en nombre suffisant pour les maintenir ouverts.

Et les urgences ne sont que la partie la plus visible du système en cours d’effondrement : de plus en plus de maternités ferment, à Guingamp, à Autun, à Ancenis, mettant en danger mères et nourrissons.

« Cet été est plus compliqué que l’été dernier. », Dominique Savary, du syndicat Samu‑Urgences de France.

On a même vu en ce mois d’août un nourrisson atteint de bronchiolite transféré de Paris à Rouen faute de place. Alors que les épidémies de bronchiolite sont bien plus importantes quand le froid s’installe en fin d’année. Quel nouvel hiver est promis aux patients et aux soignants ?

Des pertes de chance certaines

« Une récente étude démontre que le risque de mourir [pour les personnes de plus de 75 ans] augmente de 46 % lorsque l’on passe 24 heures sur un brancard. Maintenant, nous pouvons le prouver scientifiquement. Et lorsque les médecins, mais aussi les soignants, constatent qu’ils ne peuvent plus faire leur travail correctement, ils quittent l’hôpital. Nous assistons actuellement à une véritable hémorragie. Résultat, les services ferment »,

Dre Agnès Ricard‑Hibon, porte‑parole de la Société française de médecine d’urgence (SFMU).

Le syndicat SAMU Urgences de France estimait qu’en décembre 2022, 150 personnes étaient décédées sur des brancards faute de prise en charge du fait du manque de lits et de personnel, et qualifiait ces décès de « morts évitables ».

L’étude ne portait que sur le seul mois de décembre, mais nous pouvons imaginer que ces décès s’accumulent depuis. 53 800 décès supplémentaires ont été recensés en 2022.

Tout le système hospitalier est pris dans un cycle infernal : les conditions de travail des soignants se dégradent et ne leur permettent pas de soigner leurs patients correctement. Les patients sont victimes de pertes de chance faute de prise en charge adéquate. Les soignants à bout quittent l’hôpital, et les conditions de travail de ceux qui restent ne cessent de se dégrader.

Une austérité meurtrière

Alors que notre système de santé, encore « le meilleur du monde » au‑début du siècle, est en train de s’effondrer, le gouvernement reste muré dans sa seule volonté de réaliser des économies.

Dans le PLFSS consacrant le budget de la Sécurité sociale pour 2023, passé en force par 49.3, la Fédération hospitalière de France estime qu’il manque « entre 1 et 2 milliards d’euros » pour couvrir les besoins. Autrement dit, au milieu d’une crise hospitalière sans précédent, le gouvernement demande aux hôpitaux de réaliser entre 1 et 2 milliards d’économies.

Alors que se prépare le PLFSS 2024, les ambitions du gouvernement sont claires : toujours plus d’économies sur la santé. Face au manque de soignants et aux fermetures de services, leur nouvel objectif est de désinciter les Français à se soigner en doublant leur reste à charge pour les actes de soins et l’achat de médicaments.

Le premier quinquennat Macron aura acté la fermeture de 21 000 lits d’hôpitaux, principalement pour raisons financières. Le deuxième quinquennat poursuit sur cette lancée austéritaire, et pousse toujours plus loin la destruction de notre système de santé.

Il est temps de faire toute la lumière sur les pertes de chance et sur les décès évitables liés au manque de personnels et aux fermetures de services hospitaliers. C’est une demande qui émane notamment des syndicats de soignants.