Instaurer une allocation d’autonomie pour les jeunes en formation

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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Depuis que je suis parti de chez mes parents pour aller à l’Université, les galères s’enchaînent. L’aide de mes parents et mon petit job étudiant me payent à peine le loyer. Certains jours je dois choisir entre manger le midi et prendre un ticket de métro, alors sortir avec des amis ou le moindre loisir est devenu un luxe que je ne peux plus me permettre.

Aujourd’hui, je me demande si ça vaut vraiment la peine de continuer mes études. »

Ninon C., étudiante en première année de droit, Paris.

Combien d’étudiants vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté ? Et après la réforme des bourses, maintes fois repoussée, combien d’étudiants le Gouvernement trouvera‑t‑il acceptable de maintenir sous ce seuil ? Étude après étude, année après année, les chiffres mesurant la précarité s’accumulent et décrivent tous la misère dans laquelle il a été choisi de maintenir les étudiants.

Dans son Rapport sur les inégalités en France édition 2021, l’Observatoire des inégalités indique que le taux de pauvreté des 18‑29 ans est passé de 8,2 % en 2002 à 12,5 % en 2018 soit une progression de 50 % avant même la crise sanitaire. « Les jeunes adultes constituent la tranche d’âge où le risque d’être pauvre est le plus grand, et pour qui la situation s’est le plus dégradée en 15 ans ». La précarité des jeunes est bien un phénomène structurel.

Cette précarité s’illustre et affecte tous les compartiments de la vie quotidienne. Une grande partie d’entre eux sont contraints de travailler pour financer leurs études. En effet, selon l’enquête Conditions de vie menée par l’Observatoire national de la vie étudiante et publiée en avril 2021 ([1]), les aides de la famille représentent la principale ressource des étudiants (42 % des ressources de l’ensemble des étudiants), suivie des revenus d’activité (25 %) et des aides publiques (23 %) en 2020.

Selon cette étude, 40 % des étudiants déclarent exercer une activité rémunérée (hors stage) pendant l’année universitaire. Parmi eux, la moitié considère que cette activité est indispensable pour vivre et 18 % que cela a un impact négatif sur leurs études. Lorsque cette activité professionnelle est très prenante, c’est pire : 86 % des étudiants déclarent alors que leur activité rémunérée est indispensable pour vivre et 32 % qu’elle a un impact négatif sur leurs résultats d’études.

Selon l’enquête CSA pour La mutuelle des étudiants publiée en juillet 2022 ([2]), 21 % de ceux qui travaillent pour financer leurs études exercent ce travail de nuit. La durée moyenne de travail des étudiants est de 18 heures par semaine. Pourtant, près de la moitié de ceux qui travaillent rencontrent de réelles difficultés financières, concernant l’alimentation (51 %), le loyer (46 %), les charges du logement (31 %) mais aussi la santé (16 %). Le renoncement au soin est loin d’être un fait mineur : 38 % des étudiants ont déjà renoncé à consulter un médecin au cours des 12 derniers mois, dont 33 % pour raisons financières.

Le fait que près d’un étudiant sur deux soit obligé de travailler pour subvenir à ses besoins crée une véritable injustice : tous les étudiants ne disposent pas du même temps à consacrer à leurs études. Ainsi, une mission sénatoriale d’information sur les conditions de la vie étudiante menée en mai 2021 confirme que ces étudiants « présentent des taux de réussite annuelle plus faibles que les autres étudiants, ce qui entraîne un allongement de la durée de leurs études, quand le cumul emploi‑études ne les conduit pas tout simplement au décrochage, par manque de motivation à poursuivre ».

Comment expliquer cette situation alors que la France dispose d’un système de bourses sur critères sociaux ? 76 % des étudiants ne perçoivent toujours pas de bourse ! Au contraire, la Suède accorde des bourses à 88 % de ses étudiants tandis que le Danemark le fait pour 92,2 % d’entre eux. Ces bourses ne sont pas corrélées aux revenus des parents, contrairement au système français, particulièrement obsolète, qui ne favorise pas l’autonomie des jeunes et reproduit les inégalités sociales. Mais en réalité, le montant des bourses lui‑même est insuffisant, de 108,37 € par mois (31,8 % des boursiers) à 596,54 € par mois (7 % des boursiers) ([3]), des montants bien inférieurs au seuil de pauvreté qui est, lui, de 1 102 € par mois.

Les conclusions de la mission sénatoriale d’information sur les conditions de la vie étudiante menée en mai 2021 ([4]) dressent un constat sévère : “les effets de seuil excluent toute une partie des étudiants, notamment ceux issus des classes moyennes ; le montant des bourses ne permet pas de financer la vie étudiante”.

La NUPES propose dans son programme de gouvernement la création d’une garantie d’autonomie pour les jeunes fixée au‑dessus du seuil de pauvreté. Une proposition proche de celle défendue par les syndicats étudiants comme l’UNEF et l’Alternative.

Grâce à la garantie d’autonomie, les jeunes entre 18 et 25 ans inscrits dans une formation ne seront plus privés de leur dignité pour vivre : leur revenu mensuel sera complété pour atteindre le seuil de pauvreté (ajusté en fonction de la composition du foyer : un peu plus de 1 100 euros pour une personne seule, de 1 650 euros pour un couple sans enfant ou un parent seul, etc.) à condition qu’ils soient détachés du foyer fiscal de leurs parents. Ce droit sera étendu aux lycéens inscrits dans l’enseignement professionnel à partir de 16 ans.

En effet, les 626 723 lycéens professionnels en France en 2022 sont issus majoritairement des milieux populaires. Selon les Repères et référence 2022 de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du Ministère de l’éducation nationale et de la Jeunesse, 54,8 % des élèves suivant une formation en bac professionnel dans le secteur public sont issus d’une catégorie sociale défavorisée. On observe une désaffection des formations proposées en lycée professionnel : entre 2017 et 2021, le nombre de lycéens professionnels a baissé de 16 649 élèves. Les sorties en cours de formation ont également augmenté. Cela représente 10,3 % des élèves en première professionnelle en 2021. Les enseignants ont vu cette tendance encore s’aggraver ces derniers mois : « Le jeune souhaite être autonome, il ne veut plus être à charge de ses parents », mais « s’ils souhaitent plus tard reprendre leurs études ou changer de secteur, ce sera beaucoup plus compliqué » sans diplôme explique Laurence Colin, cheffe d’établissement, à France Inter le 23 mai 2022 ([5]).

Cette proposition de loi constitue une chance historique de garantir à chaque étudiant ou lycéen de l’enseignement professionnel le droit à poursuivre ses études.

L’article 1er prévoit la création d’une garantie autonomie pour les jeunes entre 18 et 25 ans, détachés du foyer fiscal du ou des parents, et inscrits dans une formation en vue de la préparation d’un diplôme ou d’un concours et dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté, soit 1 102 euros actuellement. Il prévoit également l’ouverture de ce droit pour les lycéens professionnels dès 16 ans.

Un décret précisera les conditions dans lesquelles un jeune ayant atteint 18 ans mais encore scolarisé dans un lycée technologique ou général pourra percevoir cette aide en cas de grande précarité. Ce décret spécifiera les modalités de calcul du montant de la garantie autonomie.

L’article 2 prévoit une taxe exceptionnelle sur les superprofits des sociétés pétrolières et gazières, les sociétés de transport maritime et les concessionnaires d’autoroutes afin de financer cette mesure.