EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’attachement profond à l’existence de l’État d’Israël ne saurait interdire tout regard critique sur sa dérive illibérale et coloniale. Le fait est sans précédent : une coalition gouvernementale ([1]) composée de partis nationalistes, suprémacistes et religieux ultraorthodoxes est au pouvoir en Israël. Un gouvernement d’extrême droite motivé par la volonté de saper les fondements démocratiques du pays et d’intensifier la politique coloniale en Cisjordanie.
Cette dérive n’est pas uniquement liée à la nature du pouvoir en place. Elle puise ses racines dans le choix historique de la colonisation.
Depuis la guerre des Six Jours (1967), l’armée israélienne a pris possession de la Cisjordanie, y compris Jérusalem‑Est. La résolution 242 du Conseil de sécurité (22 novembre 1967) appelle alors au « retrait des forces armées israéliennes de(s) Territoires occupés » dans le cadre de l’instauration d’une paix durable. Elle restera lettre morte. Au contraire, au début des années 1970, les gouvernements israéliens successifs, dirigés par le parti travailliste ou le Likoud, ont développé une politique de colonisation dans les territoires occupés. L’argument de la sécurité d’Israël est alors invoqué, les colonies faisant office de « défenses avancées ». Dès la fin des années 1970, le discours prend une tournure religieuse. Le mouvement « Goush Emounim » (« Bloc de la foi ») se trouve conforté par l’arrivée au pouvoir de la droite nationaliste incarnée par le Likoud, laquelle accélère la colonisation au nom du mythe du « Grand Israël ». Malheureusement, le « processus de paix » enclenché par les « Accords d’Oslo » n’a pas stoppé cette spirale coloniale. Des accords aujourd’hui neutralisés par le rejet de l’idée même d’un État palestinien. Pire, les forces idéologiques et politiques qui ont célébré l’assassinat politique du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin sont aujourd’hui au pouvoir.
Quelles que soient les raisons (stratégiques, sécuritaires ou religieuses) de la politique de colonisation, elle est contraire à la légalité internationale. Elle viole les engagements de l’État israélien, lequel a ratifié (en 1951) la IVe Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 aout 1949, et applicable aux territoires occupés par l’État d’Israël depuis 1967, y compris Jérusalem‑Est. L’article 49 de ce texte‑phare du droit international humanitaire interdit en effet l’implantation de populations nouvelles dans un territoire conquis à la suite d’un conflit : « la puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle ». C’est sur ce fondement que les organes onusiens ne cessent de réaffirmer le caractère illégal de la colonisation israélienne. Ainsi, dans sa résolution 446 du 22 mars 1979, le Conseil de sécurité a considéré que la politique et les pratiques israéliennes consistant à établir des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967 n’avaient aucune validité en droit et faisaient gravement obstacle à l’instauration d’une paix générale, juste et durable au Moyen‑Orient. La résolution 465 (1980) du Conseil de Sécurité des Nations‑Unies rappelle que « la politique et les pratiques d’Israël consistant à installer des éléments de sa population et de nouveaux immigrants dans [les territoires palestiniens occupés depuis 1967, y compris Jérusalem] constituent une violation flagrante de la [Quatrième] Convention de Genève (…) et font en outre gravement obstacle à l’instauration d’une paix d’ensemble, juste et durable au Moyen‑Orient ». Cette résolution appelle ainsi le gouvernement israélien à « démanteler les colonies de peuplement existantes ». De manière aussi explicite, l’avis consultatif rendu le 9 juillet 2004 par la Cour internationale de Justice sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé souligne que « les colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé l’ont été en méconnaissance du droit international ». Enfin, l’article 8,2, b, VIII du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) définit « le transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d’une partie de sa population civile, dans le territoire qu’elle occupe » comme un crime de guerre.
Les Palestiniens sont les principales victimes de cette longue dérive. Aujourd’hui, leur condition relève juridiquement d’une situation d’apartheid, tel que défini par le droit international.
La prohibition de l’apartheid par le droit international des droits de l’homme s’applique à tous les États, sans exception. Elle est aux fondements mêmes des Nations‑Unies.
Les énoncés fondateurs comprennent l’article 55 de la Charte des Nations‑Unies et l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
Des instruments plus récents, en particulier la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965, dans son article 3, interdisent spécifiquement l’apartheid ([2]). Cent‑quatre‑vingt‑deux États sont parties à cette Convention, y compris l’État d’Israël, depuis 1979.
La Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, adoptée par l’Assemblée générale des Nations‑Unies le 30 novembre 1973, érige l’apartheid en crime contre l’humanité (dans les articles I et II) et en fournit la définition la plus détaillée dans le droit international ([3]). Elle définit en son article 2 le crime d’apartheid comme — « […] englob[ant] les politiques et pratiques semblables de ségrégation et de discrimination raciales, telles qu’elles sont pratiquées en Afrique australe » — et « les actes inhumains […] commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui‑ci ». Une liste des actes qui tombent dans le cadre de ce crime est dressée ([4]). Encourent une responsabilité pénale internationale les personnes, membres d’organisations et représentants de l’État qui commettent ou inspirent le crime d’apartheid ou qui conspirent à sa perpétration (art. 3). Elle clarifie aussi la responsabilité et les obligations internationales concernant la lutte contre le crime d’apartheid. Les États membres des Nations‑Unies sont dans l’obligation de respecter la prohibition de l’apartheid qu’ils soient ou non parties à la Convention contre l’apartheid.
La Convention contre l’apartheid a vocation à s’appliquer à des situations autres que celles de l’Afrique du Sud. Cela est confirmé en ce que la prohibition de l’apartheid est consacrée dans des instruments de portée plus étendue, adoptés avant et après la chute de l’apartheid en Afrique du Sud.
Dans le Protocole additionnel de 1977 aux Conventions de Genève du 12 aout 1949 ([5]) relatif à la protection des victimes de conflits armés internationaux, l’apartheid est défini comme un crime de guerre. Aux termes du premier Protocole additionnel de 1977, les pratiques de l’apartheid constituent une « infraction grave » au Protocole (art. 85, al. 4 (c)) sans aucune limitation géographique.
Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) du 17 juillet 1998 classe l’apartheid dans les crimes contre l’humanité (article 7 (1) (j)) ([6]), ce qui emporte l’instruction et les poursuites pénales potentielles sous la juridiction de la CPI. La définition retenue est similaire à celle de la Convention de 1973 (article 7 (2) (h)) « Par “crime d’apartheid”, on entend des actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe 1, commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ; »
Bien que seulement cent‑dix États soient parties à la Convention contre l’apartheid, la plupart des États sont parties à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, selon laquelle ils s’engagent « à prévenir, à interdire et à éliminer » l’apartheid (article 3).
Surtout, si tous les États n’ont pas ratifié les conventions internationales relatives à l’apartheid ou le Statut de Rome, l’interdiction d’apartheid s’applique à tous les États sans exception. Elle est, en effet, considérée par le droit international coutumier (droit interprété par la Commission du Droit International de l’ONU) comme une norme impérative du droit international (ou jus cogens).
En vertu du droit international, pour qualifier un régime d’apartheid, il faut établir trois critères :
– Un régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématique d’un groupe ethnique par un autre ;
– Une intention de maintenir ce régime ;
– Un ou plusieurs actes inhumains énumérés par la Convention sur le crime d’apartheid, tels que le transfert forcé de populations, tortures et meurtres, commis dans le cadre de ce régime institutionnalisé.
I. – Condamnation du régime d’apartheid institutionnalisé par l’État d’Israël à l’encontre du peuple palestinien
La présente proposition de résolution tend à la condamnation de l’instauration d’un régime d’apartheid par l’État d’Israël consécutif à sa politique coloniale, à l’encontre du peuple palestinien, tant dans les territoires occupés (Cisjordanie, incluant Jérusalem‑Est, et Gaza) que sur le territoire israélien et en appelle à son démantèlement immédiat.
Elle se fonde sur le corpus de droit et principes internationaux en matière de droits de l’homme susmentionnés, sur les centaines de résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations‑Unies (ONU) condamnant la politique de colonisation israélienne des territoires palestiniens, les résolutions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sur les enquêtes et rapports détaillés et circonstanciés d’organisations israéliennes (B’Tselem, Yesh Din), palestiniennes (Al‑Haq, Addameer) et d’organisations internationales (ONU, Conseil de l’Europe) et non gouvernementales (Human Rights Watch et Amnesty International) qui démontrent que les lois, politiques et pratiques mises en place par les autorités israéliennes ont progressivement créé un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien.
Tous les critères pour qualifier le régime d’apartheid mis en place par l’État d’Israël sont réunis :
L’État d’Israël a mis en place un régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématique appliqué à l’ensemble de la population palestinienne, et affirmé clairement son intention de maintenir un tel régime. Plusieurs « actes inhumains » sont couramment commis contre les Palestiniens dans les territoires occupés et sur le territoire israélien.
• L’État d’Israël a institutionnalisé un régime d’oppression et de discrimination systématique appliqué à l’ensemble de la population palestinienne
Depuis la création de l’État d’Israël en 1948, les gouvernements israéliens successifs mènent une politique visant à instituer et à entretenir une hégémonie démographique juive et à amplifier son contrôle sur le territoire au bénéfice des juifs israéliens. En 1967, le gouvernement de Lévi Eshkol a étendu cette politique à la Cisjordanie et à la bande de Gaza. Actuellement, tous les territoires sous le contrôle de l’État d’Israël restent administrés dans le but de favoriser les juifs israéliens aux dépens de la population palestinienne, tandis que les gouvernements israéliens successifs continuent de nier le droit au retour des réfugiés palestiniens depuis plus de soixante‑dix ans.
Les gouvernements israéliens successifs ont assimilé la population palestinienne à une menace démographique et imposé des mesures pour contrôler et réduire leur présence et leur accès aux terres au sein du territoire israélien et dans les territoires palestiniens occupés. Ces objectifs démographiques sont visibles dans les plans officiels de « judaïsation » de certaines zones de l’État d’Israël et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem‑Est, des plans qui exposent des milliers de Palestiniens au risque de transfert forcé. Depuis 1967, la résidence permanente de plus de 14 000 Palestiniens a été révoquée à la discrétion du ministère de l’Intérieur, ce qui entraine leur transfert forcé en dehors de la ville. L’expansion des colonies israéliennes illégales à Jérusalem‑Est pousse les Palestiniens hors de chez eux et confine la population palestinienne dans des enclaves de plus en plus petites.
Les Juifs israéliens et les Arabes palestiniens de Jérusalem‑Est et de Cisjordanie vivent sous un régime qui différencie la répartition des droits et des avantages sur la base de l’identité nationale et ethnique, et qui assure la suprématie d’un groupe sur l’autre. Cette discrimination est ancrée dans des lois qui affectent les Palestiniens, partout sur le territoire israélien et dans les territoires palestiniens occupés, dans tous les aspects de leur vie (droits relatifs à la citoyenneté, à l’éducation, à la participation politique, aux terres et aux logements, à la langue et la culture, etc.).
Citons, en particulier, la Loi sur « l’État‑nation du peuple juif »[7], qui est entrée en vigueur en 2018, dont plusieurs dispositions violent le droit international. Elle dispose par exemple que l’État d’Israël est « l’État‑nation du peuple juif », inscrivant par conséquent dans la Loi fondamentale de l’État d’Israël l’inégalité et la discrimination à l’égard des non‑juifs.
Cette loi énonce que la « réalisation du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est exclusive au peuple juif » ([8]) et enlève donc le droit à l’autodétermination aux autres groupes religieux. Elle prévoit également que « l’État sera ouvert à l’immigration juive et au rassemblement des exilés », ce qui exclut là encore une immigration non juive ([9]). Elle énonce d’autre part que « l’État considère le développement de l’implantation juive comme une valeur nationale et agit pour encourager et promouvoir son établissement et sa consolidation. » ([10]) Elle proclame en outre que Jérusalem est « la capitale entière et unifiée » de l’État d’Israël ([11]) et fait de l’hébreu la seule langue officielle, retirant à la langue arabe son statut de langue officielle ([12]).
Citons également les nouvelles règlementations israéliennes sur les étrangers se rendant en Cisjordanie selon lesquelles les Palestiniens qui détiennent des passeports étrangers seront soumis à une règlementation restrictive s’agissant de l’entrée et de la résidence en Cisjordanie occupée. Des experts juridiques soulignent qu’il s’agirait ainsi pour le gouvernement israélien de tenter de restreindre et suivre les déplacements des ressortissants étrangers dans les territoires occupés, de contrôler la croissance de la population palestinienne et de conserver des données sur les revendications territoriales des Palestiniens possédant des nationalités étrangères.
Rappelons, en outre, que les réfugiés palestiniens et leurs descendants, qui ont été déplacés, de force, lors des conflits de 1947‑1949 et 1967, restent privés du droit de revenir dans leur ancien lieu de résidence. Cette exclusion des réfugiés imposée par les gouvernements israéliens successifs est une violation flagrante du droit international.
La dépossession et le déplacement des Palestiniens hors de chez eux constituent un pilier central du système d’apartheid israélien. Depuis sa création, l’État israélien a mis en œuvre à grande échelle des saisies foncières contre la population palestinienne, et continue d’imposer un grand nombre de lois et politiques pour l’enfermer dans de petites enclaves. Depuis 1948, l’État d’Israël a exproprié et démoli des centaines de milliers de logements et de bâtiments palestiniens dans toutes les zones relevant de sa juridiction et de son contrôle effectif.
L’ONG B’Tselem rapporte un nombre estimé de 662 000 colons israéliens en Cisjordanie à la fin 2020, dont près de 220 000 à Jérusalem‑Est. En Cisjordanie (Jérusalem‑Est exclue), les colons représentent 13,8 % de la population. Le taux de croissance de la population des colons a augmenté de 42 % par rapport à 2010 et a plus que quadruplé depuis 2000.
Lors des huit premiers mois de 2021, les autorités israéliennes ont fait démolir 666 maisons et autres structures palestiniennes en Cisjordanie, y compris à Jérusalem‑Est, déplaçant 958 personnes, soit une hausse de 38 % par rapport à la même période de 2020, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA). La plupart de ces immeubles ont été démolis faute d’être dotés de permis de construire, alors que les autorités rendent l’obtention de tels permis presque impossible pour les Palestiniens dans ces secteurs. En juillet, les autorités israéliennes ont fait raser, pour la sixième fois en moins d’un an, les maisons de la plupart des habitants de la communauté palestinienne de Khirbet Humsah, dans la vallée du Jourdain, au motif qu’elles se trouvaient dans un secteur désigné comme « zone de tir », déplaçant 70 personnes, dont 35 enfants.
Le nouveau ministre de la Sécurité nationale israélien, Itamar Ben‑Gvir a ordonné en janvier 2023, l’interdiction du drapeau palestinien dans les lieux publics.
B. Netanyahou a également annoncé, en février 2023, que son gouvernement souhaitait soumettre à la Knesset une loi pour » déchoir de la nationalité [israélienne] et expulser les terroristes ». Des mesures qui seraient applicables aux Arabes israéliens ainsi qu’aux Palestiniens ayant le statut de résidents de Jérusalem‑Est.
• L’État israélien exprime une intention claire de maintenir le régime d’apartheid
Le régime d’oppression et de domination des autorités israéliennes sur les Palestiniens dure, au moins, depuis le début de l’occupation israélienne en ce qui concerne les Territoires palestiniens occupés (1967), et depuis 1948 pour les Palestiniens d’Israël.
La durée dans le temps de l’oppression est un signe manifeste de l’intention de maintenir ce régime.
L’annexion israélienne de Jérusalem‑Est, formalisée en 1980, rend évidente l’intention de domination coloniale. L’annexion de facto du reste de la Cisjordanie également, ainsi que la volonté d’annexion formelle déclarée officiellement par le Premier ministre israélien en 2020.
Le 22 avril 2020, Benny Gantz et Benyamin Netanyahou ont annoncé leur accord de gouvernement d’urgence avec au cœur de celui‑ci l’annexion de la vallée du Jourdain et des colonies en Cisjordanie, rendue possible dès le 1er juillet 2020.
Le système d’oppression et de discrimination systématique a été établi dans l’intention de maintenir la domination d’un groupe ethnique sur un autre. Les dirigeants politiques israéliens, passés et présents, ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils avaient l’intention de conserver le contrôle de l’ensemble du territoire occupé afin d’agrandir les blocs de terre pour les colonies juives actuelles et futures, tout en confinant les Palestiniens dans des « réserves de population ». Dans ce système particulier, les libertés d’un groupe sont inextricablement liées au maintien de l’assujettissement de l’autre groupe.
La coalition gouvernementale de droite et d’extrême droite au pouvoir en Israël a déclaré qu’elle encouragera et développera la colonisation, en violation du droit international.
Le 12 février 2023, B. Nétanyahou a ainsi annoncé, la poursuite de la construction et de l’expansion de colonies de peuplement et la légalisation de neuf colonies en Cisjordanie. Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est dit « consterné » par cette annonce dans une déclaration présidentielle du 20 février 2023.
• Les gouvernements israéliens successifs ont perpétré ou laissé perpétrer plusieurs actes inhumains énumérés par la Convention sur le crime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien
Ce système de discrimination institutionnalisée en vue d’une domination permanente est construit sur la pratique régulière d’actes inhumains, tels que des exécutions arbitraires et extrajudiciaires, des actes de tortures, la mort violente d’enfants, ou le déni des droits humains fondamentaux.
Les arrestations arbitraires et les détentions administratives de Palestiniens (y compris de nombreux enfants) soumis à des procès non équitables et aux actes de violence à l’égard des détenus, mais aussi au transfert de détenus palestiniens dans des prisons israéliennes constituent des atteintes au droit humanitaire international et aux droits de l’homme. À cet égard, la détention arbitraire de l’avocat et défenseur des droits de l’homme franco‑palestinien, Salah Hamouri, par les forces d’occupation israélienne illustre parfaitement le fonctionnement du régime d’apartheid israélien. Harcelé depuis des années par le Gouvernement israélien pour son action en faveur des droits humains, il fait l’objet de détentions administratives à répétition sans accusations formelles et subit de mauvais traitements infligés par les autorités israéliennes. Après la révocation de son statut de résident de Jérusalem‑Est par les autorités israéliennes, il a été expulsé le 18 décembre 2022.
Comme le souligne M. Michael Lynk, Rapporteur spécial des Nations‑Unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, « la répétition [des actes susmentionnés] sur de longues périodes, de même que leur aval par la Knesset et par le système judiciaire israélien, indique qu’ils ne sont ni aléatoires ni isolés, mais font partie intégrante du système de domination israélien. »
Dans les territoires palestiniens occupés, les forces israéliennes recourent régulièrement à une force meurtrière afin d’étouffer les actions de protestation de Palestiniens revendiquant le respect de leurs droits.
En mai 2021, lors des bombardements intensifs israéliens, sur des endroits densément peuplés où vivent des populations civiles, 260 Palestiniens ont été tués, dont 66 enfants, et 2 200 ont été blessés, « certains d’entre eux étant susceptibles de souffrir de handicap à long terme nécessitant une rééducation », selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA).
En Cisjordanie occupée, 77 personnes ont été tuées par les soldats israéliens, le résultat de la politique de l’armée israélienne autorisant à tirer à balles réelles sur des Palestiniens.
Entre le 21 juin 2021 et le 11 mai 2022, au moins 79 personnes palestiniennes, dont 14 enfants, ont été tuées par les forces armées israéliennes dans les territoires palestiniens occupés selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations‑Unies (OCHA) et les informations recueillies par Amnesty International.
Le 11 mai 2022, la journaliste américano‑palestinienne Shireen Abu Akleh décédait, touchée par un tir à la tête alors qu’elle couvrait un raid de l’armée israélienne dans la ville de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie occupée. La journaliste portait une veste pare‑balle, sur laquelle était inscrit le mot « presse » et un casque de protection. Elle a été la cible d’un tir d’un soldat israélien utilisant un fusil de précision et touchée juste sous la coupe de son casque. Il s’agit manifestement d’une infraction grave aux Conventions de Genève et à la résolution 2222 du Conseil de sécurité des Nations‑Unies sur la protection des journalistes, mais aussi potentiellement d’un crime de guerre qui pourrait être jugé par la Cour pénale internationale.
L’assassinat de Shireen Abu Akleh par les forces d’occupation et le refus du gouvernement de Naftali Bennett d’ouvrir une enquête internationale témoigne du système meurtrier dans lequel les différents gouvernements israéliens enferment la population palestinienne.
Cet enfermement est parfaitement illustré par le blocus de la bande de Gaza, institué depuis juin 2007 par le gouvernement d’Ehud Olmert, qui organise une politique inhumaine d’isolement de toute une population. En quatorze années de blocus, la situation s’est considérablement dégradée, la population gazaouie n’a pas accès à son espace aérien, son espace maritime a été grandement amputé et les autorités israéliennes empêchent la plupart de la population de Gaza de traverser au Poste de contrôle d’Erez, seul point de passage entre Gaza et Israël par lequel les Palestiniens peuvent se rendre en Cisjordanie et à l’étranger. Ce blocus militaire israélien entrave l’accès à l’eau, l’assainissement et l’accès à l’énergie des deux millions d’habitants de la bande de Gaza.
Le coordinateur humanitaire de l’ONU pour les territoires palestiniens, déplorait déjà en 2010, ce blocus persistant « à l’origine de la détérioration en cours des déterminants sociaux, économiques et environnementaux de la santé. Il entrave la fourniture de matériel médical et la formation du personnel de santé et empêche les patients atteints de maladies graves d’obtenir en temps opportun des traitements spécialisés en dehors de Gaza. » L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) déclarait également en 2011, « le blocus compromet l’exercice du droit à la santé des Gazaouis. »
Les autorités israéliennes ont renforcé le blocus lors de la pandémie de Covid‑19. Lors des neuf premiers mois de 2021, 86 Palestiniens de Gaza en moyenne sortaient du territoire chaque jour par le passage d’Erez, soit 17 % seulement de la moyenne journalière des 500 enregistrés en 2019 et moins de 1 % de la moyenne quotidienne de plus de 24 000 enregistrée en septembre 2000, selon Gisha, une organisation israélienne de défense des droits humains. Ce blocus constitue une violation des droits humains fondamentaux et une violation du droit humanitaire.
La situation s’est largement détériorée depuis l’accession au pouvoir le 29 décembre 2022 de la nouvelle coalition gouvernementale comprenant des responsables de l’extrême droite suprémaciste.
Le 26 janvier 2023, le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie a subi un raid mené par l’armée israélienne faisant dix victimes palestiniennes. Comme le souligne le journal Le Monde ([13]), « L’attaque déclenchée par l’État hébreu contre des militants du Jihad islamique clôt un mois pendant lequel plus d’un Palestinien est mort chaque jour, tué par l’armée ou des colons. Elle marque une accélération de l’opération militaire lancée au printemps 2022, censée briser une insurrection armée naissante, qui a évolué en répression massive à travers toute la Cisjordanie. »
Le 27 janvier, sept civils israéliens sont morts, lorsqu’un tireur palestinien a ouvert le feu à Neve Yaakov, une colonie israélienne à Jérusalem‑Est occupée. En réaction, les autorités israéliennes ont intensifié leur punition collective à l’égard du peuple palestinien dans son ensemble, procédant à des arrestations de masse et se livrant à des démolitions punitives d’habitations.
Le 22 février 2023, onze Palestiniens ont été tués et une centaine de blessées par balles lors d’un raid militaire israélien à Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie occupée, en représailles à plusieurs tirs de roquettes. Il s’agit du bilan le plus lourd en Cisjordanie depuis la deuxième Intifada (2000‑2005).
Le 26 février 2023, après la mort de deux Israéliens, tués par balle, à Huwara dans le nord de la Cisjordanie occupée, des colons israéliens ont mené des expéditions punitives. Des dizaines de maisons, de commerces et des véhicules avaient été incendiés, des civils agressés au hasard et un Palestinien tué par balles. Si l’extrême droite a refusé de condamner ces violences, de nombreux Israéliens se sont dits scandalisés par cette nuit de chaos.
Cette escalade de la violence témoigne de l’absence de solution politique et de perspective de paix.
La reconnaissance de la réalité du régime d’apartheid et sa condamnation par l’ensemble de la communauté internationale sont aujourd’hui indispensables pour mettre fin à ce cycle de violences et permettre une résolution juste et durable du conflit israélo‑palestinien.
• Une institutionnalisation de l’apartheid sur fond de dérive liberticide de la démocratie israélienne
Des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent chaque semaine pour « sauver la démocratie ».
De nombreuses personnalités issues du monde scientifique, politique, économique et intellectuel, de la police, et de l’armée israéliennes, mais aussi de simples citoyens se mobilisent, car « les vainqueurs des dernières élections veulent mettre en cause des équilibres qui tiennent à la structure même de la démocratie israélienne », pour reprendre les mots de Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l’Université ouverte d’Israël. De même, la procureure générale d’Israël Gali Baharav‑Miara fait part de sa crainte que l’État d’Israël ne devienne « Une démocratie qui n’en a que le nom, pas l’essence » si les différents projets de loi de la coalition au pouvoir sont adoptés.
Dans une Tribune au journal Le Monde, le 9 mars 2023, intitulée « La démocratie est en danger en Israël en raison de l’avènement sournois d’un régime autocratique illibéral », un large collectif d’intellectuels et d’artistes formé à l’initiative des philosophes Raphael Zagury‑Orly et Jacob Rogozinski, exprime son refus de voir son attachement à l’État d’Israël servir de caution à un régime autocratique et nationaliste : « nous appelons le gouvernement israélien à adopter une position responsable, non seulement à l’égard des Israéliens eux‑mêmes, Juifs et Arabes, mais aussi des Palestiniens des territoires occupés. Nous ne voulons pas que notre attachement à l’existence d’Israël serve désormais de caution à un régime autocratique et nationaliste. Nous ne voulons pas qu’Israël soit indéfendable. »
Ces alertes doivent être entendues et les mobilisations pour la démocratie au sein de l’État d’Israël soutenues.
Un régime démocratique et un régime d’apartheid consécutif à une politique coloniale ne sauraient co‑exister.
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Depuis des années, il existe un nombre grandissant de travaux, d’enquêtes, de recherches d’universitaires, d’avocats, d’experts, d’associations, d’organisations et institutions internationales qui convergent pour la reconnaissance du fait que l’État d’Israël a institué un régime d’apartheid à l’encontre de la population palestinienne.
De nombreux rapports, manifestations, tribunes, prises de position dressent ce même constat.
– Dès 2006, l’ancien président Carter, dans un livre sur la politique israélienne, osa faire figurer le mot dans son titre (Palestine : la paix, pas l’apartheid), il souleva des clameurs d’indignation ;
– En 2014, le secrétaire d’État américain, John Kerry, lors d’une réunion à huis clos, avait averti Benyamin Netanyahou du risque de devenir un État d’ » apartheid » s’il ne faisait pas la paix rapidement avec les Palestiniens ;
– Dix ans après, le 15 mars 2017, une agence de l’ONU publiait un rapport ([14]) qui, pour la première fois, prouvait que l’État d’Israël soumettait les Palestiniens à un régime d’apartheid.
Émanant de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (ESCWA), le document avait été rédigé par Richard Falk, professeur de droit international et ex‑rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’Homme en Palestine, et Virginia Tilley, professeure de science politique et spécialiste des conflits ethniques. Le rapport, qui préconisait le soutien à la campagne BDS, déclencha une réaction très violente de groupes de pression américains et israéliens soutenant la politique de Benyamin Netanyahou. Sous la pression, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres demanda le retrait de ce rapport. Cette censure donna lieu à la démission de Rima Khalaf, secrétaire exécutive de l’ESCWA en signe de protestation ;
– Le 5 février 2021, la Chambre préliminaire I de la Cour Pénale Internationale a décidé, à la majorité, que la compétence territoriale de la Cour dans la situation en Palestine, un État partie au Statut de Rome de la CPI, « s’étend aux territoires occupés par Israël depuis 1967, à savoir Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem‑Est » ([15]).
Le Rapporteur Spécial des Nations‑Unies sur la situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé a souligné que : « Cette décision ouvre la porte à ce que des allégations crédibles de crimes relevant du Statut de Rome fassent enfin l’objet d’une enquête et puissent éventuellement atteindre le stade du procès devant la CPI. » Selon l’expert, les allégations de crimes graves qui pourraient faire l’objet d’une enquête par la Procureure de la CPI comprennent » les actions d’Israël pendant la guerre de 2014 contre Gaza, le meurtre et les blessures de milliers de manifestants en grande partie non armés pendant la Grande Marche du retour en 2018- 2019, et les activités de colonisation d’Israël à Jérusalem‑Est et en Cisjordanie ». « La Procureure peut également examiner les allégations de crimes graves impliquant des groupes armés palestiniens » ([16]).
Cette décision ouvre la voie à la justice pénale internationale pour examiner tout ce qui a été observé, documenté et dénoncé provenant du territoire palestinien (et ce depuis juin 2014). Elle constitue un grand pas pour mettre un terme à l’impunité de l’État israélien et garantir la justice. Elle revêt non seulement une portée juridique, mais également une portée symbolique importante ;
– Le 27 avril 2021, l’ONG de défense des droits de l’homme, Human Rights Watch, publie un rapport[17] qui analyse le traitement par l’État d’Israël des Palestiniens.
Kenneth Roth, son directeur, indique qu’Human Rights Watch est arrivé à la conclusion que les crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution sont commis par le gouvernement israélien contre une partie de la population palestinienne. Le rapport est fondé sur deux ans d’enquête et deux décennies de travail en Israël et dans les territoires occupés. En usant du terme « apartheid », il ne s’agit pas de faire une analogie historique, mais d’appliquer le droit international. L’ONG rappelle que ce mot trouve son origine en Afrique du Sud, mais il a un statut en droit international, dans la Convention de 1973 sur l’apartheid et dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), tous deux ratifiés par de nombreux États ;
– Le 23 mai 2021, le ministre des Affaires étrangères Jean‑Yves Le Drian, invité du Grand Jury RTL LCI Le Figaro avait ainsi affirmé : « si d’aventure on avait une autre solution que la solution à deux États, on aurait alors les ingrédients d’un apartheid qui durerait longtemps ». « Le risque d’apartheid est fort si l’on continue à aller dans une logique à un État ou du statu quo », avait‑il ajouté.
– Dans son rapport[18] du 1er février 2022, intitulé « L’Apartheid commis par Israël à l’encontre des Palestiniens. Un système cruel de domination et un crime contre l’humanité », Amnesty International montre que les saisies massives de biens fonciers et immobiliers palestiniens, les homicides illégaux, les transferts forcés, les restrictions draconiennes des déplacements, ainsi que le refus de nationalité et de citoyenneté opposé au peuple palestinien, sont autant de facteurs constitutifs d’un système qui peut être qualifié d’apartheid en vertu du droit international.
Réalisées en concertation avec des experts internationaux et des associations palestiniennes, israéliennes et internationales, les recherches d’Amnesty International démontrent que ce système correspond à la définition juridique de l’apartheid. Il s’agit d’un crime contre l’humanité définie par la Convention sur l’apartheid de 1973 et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998. Amnesty International appelle ainsi la Cour pénale internationale (CPI) à considérer la qualification de crime d’apartheid dans le cadre de son enquête actuelle dans les territoires palestiniens occupés et appelle tous les États à exercer la compétence universelle afin de traduire en justice les personnes responsables de crimes d’apartheid ;
– Le 25 mars 2022, dans un rapport sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, par la voix de son rapporteur spécial, Michael Lynk, a reproché à la communauté internationale d’avoir permis aux gouvernements israéliens successifs d’avoir instauré pendant des décennies d’occupation un système politique qu’il a qualifié d’ » apartheid ». Ce rapport répondait à la question de savoir si les pratiques répressives de l’État d’Israël « au cours de son régime qui a duré cinquante‑cinq ans » avaient évolué d’une « occupation sans fin » vers quelque chose « de plus sombre, de plus dur et de plus atroce ». Dans son étude, le Rapporteur Spécial conclut que le système politique appliqué aux territoires palestiniens occupés répond à la norme de preuve concernant l’existence de l’apartheid ;
– Le 7 juin 2022, le rapport de la commission d’enquête mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a conclu que l’occupation des territoires palestiniens par l’État d’Israël et la discrimination envers la population palestinienne sont « les causes principales » des tensions récurrentes et de l’instabilité. La présidente de cette commission, la Sud‑Africaine et ancienne haut‑commissaire aux droits de l’homme, Navanethem Pillay a estimé que les nombreuses recommandations et résolutions existantes « ont été largement ignorées, y compris les appels à ce qu’Israël rende des comptes pour les violations du droit humanitaire et des droits de l’homme, tout comme les tirs de roquettes à l’aveugle contre Israël par des groupes armés palestiniens (…) C’est ce manque de mise en œuvre doublé d’un sens d’impunité ainsi que les preuves très claires qu’Israël n’a aucune intention de mettre fin à l’occupation et la discrimination permanente contre les Palestiniens qui sont au cœur de ces violations répétées aussi bien dans les territoires palestiniens occupés, y compris à Jérusalem‑Est, qu’en Israël ».
– Le 19 décembre 2022, dans un exposé au Conseil de Sécurité des Nations‑Unies sur la situation au Moyen‑Orient, Tor Wennesland, coordinateur spécial pour le processus de paix au Moyen‑Orient, « a réitéré sa profonde inquiétude concernant les niveaux élevés de violence dont nous avons été témoins en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem‑Est, et en Israël au cours des derniers mois. » Dans sa déclaration, il « appelle le gouvernement israélien à cesser immédiatement toute activité de colonisation (…) et à mettre fin à la démolition de biens appartenant à des Palestiniens, à empêcher le déplacement et l’expulsion de Palestiniens conformément aux obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme et d’approuver des plans qui permettraient aux Palestiniens de construire légalement et de répondre à leurs besoins en matière de développement. »
Lors de cette réunion, le représentant de l’Irlande a également rappelé que « 42 enfants palestiniens et un enfant israélien ont été tués en 2022, ce qui représente le double des chiffres de l’année dernière, s’est‑il inquiété ».
– Le 27 octobre 2022, cinq anciens ministres des affaires étrangères ([19]), lancent un appel dans une tribune au journal Le Monde : « Il faut reconnaitre que les politiques et pratiques d’Israël à l’encontre des Palestiniens équivalent au crime d’apartheid ». Dénonçant les violations des droits humains et des libertés des Palestiniens, les cinq anciens ministres des Affaires étrangères, dont Mogens Lykketoft, président de l’Assemblée générale des Nations‑Unies, et Hubert Védrine, appellent la communauté internationale à demander des comptes au gouvernement israélien.
– Le 8 février 2023, la maire de Barcelone, Ada Colau, a annoncé que sa ville avait décidé de suspendre ponctuellement ses relations avec l’État d’Israël et, notamment, son jumelage avec Tel‑Aviv « jusqu’à ce que les autorités mettent fin à la violation systématique des droits de l’homme de la population palestinienne ».
Dans une lettre adressée au Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou, la maire de Barcelone précise qu’ » il est très important de distinguer les politiques d’un État — dans le cas présent, Israël — de l’ensemble de la population juive et de sa culture ». Elle a également rappelé que Barcelone avait récemment interrompu son jumelage avec la ville russe de Saint‑Pétersbourg, après le début de la guerre en Ukraine.
Ainsi, la politique coloniale de l’État d’Israël, qui a engendré un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien, est un obstacle infranchissable à la viabilité de la solution à deux États, Israël et la Palestine, vivant côte à côte, dans la sécurité, la démocratie et la paix.
II — Reconnaissance de l’État de Palestine
En outre, au‑delà de la condamnation du régime d’apartheid instauré par l’État d’Israël, la présente proposition de résolution réaffirme que la solution de deux États suppose la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de celui d’Israël et invite, par conséquent, le Gouvernement français à reconnaitre l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit, conformément à la résolution de l’Assemblée nationale portant sur la reconnaissance de l’État de Palestine, adoptée le 2 décembre 2014.
Plus de soixante‑dix ans après la partition de la Palestine, il est plus que temps de reconnaitre l’État de Palestine comme un État souverain et autonome. Il s’agit de la seule solution possible pour mettre fin à toutes les formes de violence et de discrimination, et pour ouvrir une nouvelle phase historique de paix, de coopération et de coexistence, fondée sur la reconnaissance et le respect mutuel des deux peuples, israélien et palestinien.
139 pays reconnaissent déjà l’État de Palestine. En octobre 2014, le Parlement britannique s’est prononcé pour la reconnaissance de l’État de Palestine par le Royaume‑Uni ; le 30 octobre 2014, la Suède a reconnu officiellement l’État palestinien.
La France doit s’engager, à son tour, en faveur d’une paix durable au Proche‑Orient en reconnaissant aujourd’hui l’État palestinien. Elle peut, comme elle l’avait fait lors du vote du 29 novembre 2012 à l’Assemblée générale de l’ONU, qui avait accordé à la Palestine le statut d’État observateur non membre auprès de l’Organisation des Nations‑Unies, être à l’initiative au sein de l’Union européenne dans cette démarche de reconnaissance de l’État palestinien.
Les auteurs de cette proposition de résolution invitent ainsi la France à prendre ses responsabilités et faire preuve de cohérence si elle veut restaurer sa crédibilité sur la scène internationale.
III — Reconnaissance de la légalité de l’appel au boycott des produits israéliens
Enfin, la présente proposition de résolution rappelle que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir interdit l’appel au boycott des produits israéliens dans un arrêt du 11 juin 2020 (CEDH, 11 juin 2020, arrêt Baldassi et autres c. France, nos 15 271/16 et 6 autres). En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’appel au boycott des produits israéliens ne peut pas en soi constituer une infraction pénale : il est, en effet, protégé par la liberté d’expression.
La France n’ayant pas fait appel de l’arrêt, celui‑ci est donc juridiquement définitif depuis le 11 septembre 2020 ([20]). Conformément à l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’exécution d’un arrêt de la Cour EDH condamnant un État implique, en principe, que cet État prenne toutes les mesures qu’appellent, d’une part, la réparation des conséquences que la violation de la convention a entrainées pour le requérant et, d’autre part, la disparition de la source de cette violation.
En conséquence, les autorités françaises, en particulier le ministère de la Justice aurait dû abroger les circulaires Alliot‑Marie du 12 février 2010 ([21]) et Mercier du 15 mai 2012 ([22]) lesquelles prescrivent aux procureurs de poursuivre les personnes appelant au boycott des produits israéliens dans le cadre de la campagne internationale Boycott Désinvestissement Sanction (BDS).
Or, non seulement, lesdites circulaires n’ont pas été abrogées, mais le 20 octobre 2020, le ministère de la Justice a adopté une dépêche adressée aux procureurs consacrée « à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens » ([23]), qui s’efforce de préserver la pénalisation à la française des appels au boycott. La dépêche affirme même que les circulaires Alliot‑Marie et Mercier sont toujours valables et que les opérations appelant au boycott des produits israéliens sont encore susceptibles de constituer une infraction.
Le Gouvernement a de nouveau porté atteinte à la liberté d’expression en prononçant, le 9 mars 2022, sur le fondement de l’article L. 212- 1 du Code de la sécurité intérieure (CSI), la dissolution du Comité Action Palestine et du Collectif Palestine Vaincra.
Le 29 avril 2022, le Conseil d’État a suspendu, en urgence, l’exécution des décrets de dissolution. Le juge des référés considère que « l’instruction comme les débats lors de l’audience n’ont pas établi que les prises de position du Comité Action Palestine, bien que radicales voire virulentes sur la situation au Proche‑Orient et le conflit israélo‑palestinien, constitueraient des incitations à la discrimination, la haine et la violence pouvant justifier une mesure de dissolution. De la même façon, il retient que l’appel au boycott de produits israéliens par le Collectif Palestine Vaincra ne peut en soi justifier une mesure de dissolution, en l’absence d’autres agissements incitant à la haine ou à la violence. » ([24])
Le Conseil d’État a rappelé que » l’appel au boycott, en ce qu’il traduit l’expression d’une opinion protestataire, constitue une modalité particulière d’exercice de la liberté d’expression et ne saurait par lui‑même, sauf circonstances particulières établissant le contraire, être regardé comme une provocation ou une contribution à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes, susceptible de justifier une mesure de dissolution sur le fondement du 6° de l’article L. 212- 1 du Code de la sécurité intérieure. En l’espèce, il ne ressort pas des éléments versés à l’instruction menée par le juge des référés que la participation du groupement de fait à des campagnes de boycott de produits israéliens se serait accompagnée d’agissements susceptibles de justifier une mesure de dissolution fondée sur le 6° de l’article L. 212- 1. »
Ainsi, il appartient à l’État français, condamné par la Cour européenne des droits de l’homme et par le Conseil d’État, de reconnaitre que l’appel au boycott est protégé par la liberté d’expression. Les auteurs de cette proposition de résolution lui rappellent qu’ » en droit international, le boycottage est considéré comme une forme légitime d’expression politique, et que les manifestations non violentes de soutien aux boycotts relèvent, de manière générale, de la liberté d’expression légitime qu’il convient de protéger. » ([25])