Je suis l’auteur, et le premier signataire, d’une Proposition de Loi pour la mise en oeuvre d’une loi de programmation pour l’hôpital public et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis plusieurs années, les soignants alertent sur l’état de l’hôpital et des établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPAD) publics en France.
Les restrictions budgétaires, les fermetures de lits, le manque de personnel et la dégradation constante des conditions de travail sont autant de problèmes qui sont systématiquement relevés depuis de trop nombreuses années tant en métropole que dans les territoires dits « d’Outre‑Mer ».
Outre le manque chronique de moyens et de personnels, les réformes de santé de ces trente dernières années – du plan Juppé de 1995 au plan « Ma santé 2022 » – ont mis à mal le service public hospitalier en promouvant une gestion de l’hôpital public calquée sur celle des entreprises commerciales et les logiques de concurrence. La création d’enveloppes fermées des dépenses de santé (ONDAM), l’instauration de la tarification à l’activité, la création des groupements hospitaliers de territoire ainsi que l’usage des méthodes de management privé, ont été les symptômes de cette dérive.
Les EHPAD n’ont pas échappé à cette tendance. Depuis la fin des années 90, les lois d’inspiration libérale ont imposé un marché concurrentiel afin de maîtriser les dépenses sociales. Ce fut d’abord l’œuvre de la loi du 24 janvier 1997 créant le statut d’établissement d’hébergement pour personnes âgées qui, en décidant que les financements publics ne seraient plus attribués en fonction du statut juridique des établissements mais en fonction du niveau de dépendance des personnes accueillies, a favorisé le développement des structures lucratives grâce aux financements publics. La mise en concurrence entre le public et le privé lucratif a été entérinée par la loi hôpital, patients, santé, territoires (loi HPST) du 21 juillet 2009 avec la mise en place d’appels à projets par les agences régionales de santé pour la création ou l’extension d’établissements. S’en sont logiquement suivis un rationnement de l’offre et une rationalisation de la gestion des établissements avec la mise en place d’outils visant à mesurer la « performance » des établissements.
Au lieu de répondre à la crise de financement de l’hôpital et des EHPAD publics et aux aspirations des personnels, ces réformes successives ont été guidées par la seule recherche de l’ » efficience » du système de santé, au détriment des missions d’intérêt général et des besoins sociaux et de santé de la population. Cette gestion comptable et libérale a conduit à de nombreuses restructurations hospitalières, à la financiarisation de la prise en charge des personnes âgées, à l’augmentation de la souffrance au travail et à une dégradation de l’accès aux soins.
Ainsi, le mal‑être des soignants est bien réel. Selon le rapport sur la santé des professionnels de santé remis au Ministère le 9 octobre 2023, 64 % des soignants se sentent fatigués, 27 % notent leur stress à 9 sur une échelle maximale de 10, 55 % déclarent avoir connu un ou des épisodes d’épuisement professionnel (61 % chez les seuls infirmiers) et 22 % jugent eux‑mêmes leur état de santé « mauvais » ou « très mauvais ». En octobre 2022, la Cour des comptes a montré que le secteur médico‑social se caractérise par un nombre de journées d’arrêt de travail du fait d’accidents de travail ou de maladies professionnelles (AT‑MP) trois fois supérieur à la moyenne constatée pour l’ensemble des secteurs d’activité en France. Ce nombre a ainsi atteint 3,5 millions en 2019, en augmentation de 41 % par rapport à 2016, et correspond à 17 000 ETP (éducation thérapeutique du patient) par an.
La question de la rémunération, au regard de ces conditions de travail, explique aussi la pénurie de personnel. Elle a d’ailleurs été centrale lors du Ségur de la santé en 2020, qui a conduit à des revalorisations de salaires âprement négociées et qui demeurent largement insuffisantes. Persiste, au cœur des revendications des personnels, l’urgence de retrouver le sens de leurs métiers en leur permettant de l’exercer décemment, en leur permettant de véritablement prendre soin des patients. Combien de « murs de la honte » devront encore ériger les soignants pour dénoncer le désastre en cours dans nos hôpitaux ? Combien de scandales « Orpea » ou de publications d’enquêtes chocs seront encore nécessaires pour prendre la mesure de l’urgence dans laquelle sombrent nos EHPAD ?
Au final, les réductions de moyens visant à l’« efficience » ont généré un état d’insécurité financière et a aggravé le déficit des établissements publics. Le déficit des hôpitaux publics devrait dépasser les 2 milliards d’euros en 2024, en raison des effets cumulatifs de la non‑compensation du coût de l’inflation et d’un sous‑financement chronique. Et alors que d’ici 2050, la population française âgée dépendante devrait augmenter de 46 %, le secteur du médicosocial se trouve lui aussi dans une situation particulièrement critique, avec 85 % des EHPAD publics déficitaires et un déficit cumulé estimé à 1,3 milliard d’euros.
Aujourd’hui, le résultat de ces réformes libérales est un effondrement de notre système public de soin et une rupture d’égalité de nos concitoyens dans l’accès aux soins.
Dans ce contexte, les lois de financement de la sécurité sociale s’avèrent non seulement inappropriées au redressement de notre système public de soin, mais elles manifestent également leurs effets les plus délétères.
En effet, en assignant des objectifs de dépenses contraints (ondam) pour ensuite les distribuer en fonction des besoins, les besoins sociaux et sanitaires sont devenus des « charges » qu’il s’agit de rendre « soutenables » sans plus de vision d’ensemble, sans plus de perspective de santé publique et dans l’oubli de la responsabilité qui incombe à l’État de garantir le droit à la protection de la santé de chacun selon les termes mêmes de l’article L. 1411‑1 du code de la santé publique.
La représentation nationale elle‑même en est réduite à un débat comptable, quand ce débat a lieu. Les gouvernements d’Elisabeth Borne auront en effet marqué un nouveau virage : le budget de la sécurité sociale a été adopté contre les avis majoritairement défavorables en 2022, et unanimement défavorables en 2023, des conseils d’administration des branches de la sécurité sociale, et sans débat parlementaire par le recours systématique à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.
Le Gouvernement de Michel Barnier se sera particulièrement illustré dans sa volonté de réduire de nouveau drastiquement les dépenses publiques sociales et de santé, au mépris des alertes lancées par les associations de patients, les fédérations hospitalières et les soignants. En outre, ce gouvernement aura transmis au Sénat un texte dépouillé de toutes les sources de recettes nouvelles assises sur la cotisation sociale et votées par l’Assemblée nationale afin de soutenir efficacement un accès aux soins pour tous et de qualité.
C’est au lendemain de ce énième projet de loi de financement de la sécurité sociale, inacceptable du point de vue tant de ses prémices que de sa trajectoire, que les auteurs de cette proposition de loi formulent une alternative utile, exigeante, susceptible de répondre à l’urgence sociale et sanitaire de notre pays, en redonnant un juste rôle au Parlement en la matière.
Cette proposition de loi vise en effet à créer un nouveau paradigme politique et budgétaire de notre système public de santé en instaurant une loi de programmation pour l’hôpital et les EHPAD publics. Construite sur la base d’une politique de santé publique claire, elle précèderait la question des moyens. Dans ce cadre, la loi de programmation romprait avec la logique actuelle des lois de financement de la sécurité sociale et constituerait un nouvel outil de pilotage stratégique aux mains du Parlement.
Concrètement, et ainsi que le prévoit l’article 1er de la présente proposition de loi, la loi de programmation précèdera la prochaine loi de financement de 2025 pour 2026. Elle visera à fixer, pour une durée de cinq ans, les objectifs et les moyens nécessaires pour répondre aux besoins de santé publique. Dans ce cadre, la loi de programmation portera notamment sur le nombre d’établissements nécessaires pour répondre aux besoins en prenant en compte les différences territoriales, sur le nombre de personnels à former et les capacités d’accueil ad hoc des universités et des centres hospitaliers universitaires, sur les revalorisations salariales des personnels hospitaliers et médico‑sociaux ainsi que sur la nécessaire réduction du reste à charge pour les patients.
Dès lors, les débats relatifs aux lois de financement de la sécurité sociale ne pourront déroger, notamment du point de vue des Ondam hospitaliers et des dépenses dédiées à la perte d’autonomie, aux objectifs et aux moyens prévus par la loi de programmation. Les budgets des hôpitaux et des EHPAD seront sanctuarisés et bâtis sur les besoins. Les établissements acquerront la lisibilité budgétaire dont ils ont tant besoin pour affronter l’avenir. En conséquence, et parce qu’en vérité notre système de soins est un lieu d’interdépendance entre les hôpitaux, les EHPAD, les soins de ville ou encore le maintien à domicile, les lois de financement de la sécurité sociale retrouveront une dynamique propre, au service d’une politique publique du soin.
L’article 2 prévoit, conformément aux dispositions de l’article L. 1411‑1 du code de la santé publique, que la loi de programmation sera élaborée sur la base d’une concertation avec les principaux acteurs du champ sanitaire et social concerné. L’article 2 prévoit également une évaluation annuelle, présentée devant le Parlement, de ladite loi de programmation.
L’article 3 gage la présente proposition de loi.