EXPOSÉ DES MOTIFS :
Mesdames, Messieurs,
Le 23 avril dernier, ArcelorMittal a annoncé la suppression de 600 emplois en France. Outre 210 à 260 postes support délocalisés en Inde, le groupe prévoit la suppression de quelque 400 postes de production dans ses sept usines.
Le projet concerne les usines de Dunkerque, Florange, Basse‑Indre, Mardyck, Mouzon, Desvres et Montataire, qui emploient au total quelque 7 100 salariés.
Cette annonce intervient alors que nous avons tous en mémoire la fermeture par ce même consortium de l’aciérie de Gandrange en Moselle en 2009, après 40 ans d’exploitation, puis la fermeture des hauts fourneaux de Florange, en 2012, qui ont marqué un tournant dans l’histoire de la sidérurgie lorraine, avec la disparition de savoir‑faire essentiels.
Bien qu’Arcelor Mittal ait versé 600 millions d’euros de dividendes l’an dernier et reçu pas moins de 364 millions d’euros d’aides publiques depuis 2013, auxquels s’ajoutent des prêts de l’État à taux préférentiel, mais aussi 192 millions d’euros de crédits d’impôt ou encore 100 millions d’aides pour alléger la facture d’électricité, alors que l’Union européenne finance également de son côté le géant de la sidérurgie, le groupe n’a pas conduit les investissements nécessaires dans l’outil de production.
Les syndicats unanimes dénoncent depuis des mois sinon des années le manque de maintenance des sites, les sous‑effectifs permanents, le recours massif au travail intérimaire, le sous‑investissement qui accompagne une stratégie de délocalisation de l’activité au Brésil, aux États‑Unis et en Inde.
Certes, le secteur de l’acier connaît actuellement en Europe sa plus grave crise depuis 2009. Dans une lettre ouverte adressée aux États membres de l’Union européenne en octobre dernier, les industriels membres de la fédération européenne de l’acier, Eurofer, ont alerté sur la baisse de quelque 30 % de la production d’acier dans l’Union européenne depuis 2008, une production qui serait tombée, selon eux, à son niveau le plus bas, non viable, d’environ 60 % de la capacité des hauts fourneaux européens.
Les surcapacités mondiales, qui représentent actuellement plus de millions de tonnes de production annuelle, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), soit 4 à 5 fois la production de l’Europe, sont la principale cause de ces difficultés. Des difficultés qui menacent de s’aggraver encore avec l’installation de 157 millions de tonnes de capacités supplémentaires d’ici 2026, selon l’institution internationale.
Sans une réponse structurelle à cette aggravation des surcapacités, sans des mesures de protection des marchés européens, sans des investissements massifs dans la production d’ « acier vert », l’avenir de la sidérurgie européenne apparaît fortement compromis.
Alors que près de 100 000 emplois ont été perdus ces 15 dernières années, la liste des restructurations lourdes et des fermetures en Europe s’allonge. Le groupe allemand Thyssenkrupp prévoit ainsi de supprimer 11 000 emplois d’ici 2030, soit 40 % de ses effectifs.
Les dernières annonces d’Arcelor Mittal s’inscrivent dans cette même logique de désengagement, tout comme la décision prise en novembre dernier de stopper tous les investissements dans l’acier vert en Europe.
Le Président d’Arcelor Mittal France avait lui‑même confirmé devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, l’impossibilité de « prendre le moindre engagement » sur le maintien de l’activité en France à court ou moyen terme, étant donné que « les sites, quels qu’ils soient, sont tous à risque en Europe et donc en France aussi. »
Nous ne pouvons nous résoudre à voir la production d’acier sur le territoire national continuer de décliner. L’acier est, nous le savons tous, un matériau stratégique, essentiel à des secteurs clés comme l’automobile, l’aéronautique, l’armement et la construction. Il joue un rôle majeur dans la transition écologique, notamment pour les infrastructures renouvelables.
La sidérurgie est une composante majeure de notre souveraineté industrielle.
Nous ne saurions en conséquence faire dépendre l’avenir du secteur de décisions d’un groupe multinational qui n’a jamais hésité par le passé et n’hésite pas davantage aujourd’hui à sacrifier les salariés et l’outil de production sur l’autel de la compétitivité.
Devant la volonté manifeste du groupe ArcelorMittal de ne pas garantir la pérennité de notre industrie sidérurgique, devant le risque de réduction de la production brandit par le groupe ArcelorMittal, qui pourrait entraîner la fermeture de sites et la perte de savoir‑faire industriels essentiels, il importe que l’État prenne d’urgence des mesures de sauvegarde afin de maintenir l’emploi, de préserver les compétences, garantir la pérennité de l’industrie et mener à bien l’indispensable modernisation des installations.
De même que l’Italie et le Royaume‑Uni ont pris des mesures fortes pour préserver leur sidérurgie et éviter des licenciements massifs, il est impératif que l’État prenne d’urgence ses responsabilités.
Nous proposons en conséquence dans la présente proposition de loi la nationalisation de l’ensemble des sites d’ArcelorMittal situés en France, parmi lesquels les sites de production de Dunkerque, Mardyck, Desvres, Montataire, Florange, Mouzon, Basse‑Indre, Fos‑sur‑Mer et Saint‑Chély d’Apcher.
Cette nationalisation répond à trois impératifs majeurs : un impératif en termes de transition écologique et de calibrage des investissements nécessaires à la décarbonation de la production d’acier, en particulier la conversion des hauts‑fourneaux à l’hydrogène et l’introduction de technologies de captage du carbone ; un impératif en termes de sauvegarde des emplois directs et indirects et des compétences liés à la production d’acier en France, dans un secteur stratégique pour l’industrie nationale ; un impératif de souveraineté industrielle et énergétique permettant la sécurisation de l’approvisionnement dans certaines de nos industries clés.
L’article 1er de la présente proposition de loi prévoit en conséquence la nationalisation de l’ensemble des sites de production et de transformation, de recherche et de développement, de distribution et de services d’ArcelorMittal situés en France.
L’article 2 précise les conditions de l’indemnisation des actionnaires, étant précisé que cette indemnisation sera réduite de la valeur des aides publiques déjà reçues par ArcelorMittal qu’il s’agisse de subventions directes, de prêts, ou de toute autre forme de soutien financier apporté par l’État ou l’Union européenne. Un organisme indépendant sera constitué pour leur évaluation.
L’article 3 précise les modalités d’évaluation des aides publiques, directes et indirectes, déjà reçues par ArcelorMittal.
L’article 4 prévoit la création d’une entreprise publique placée sous le contrôle de l’État, afin d’assurer l’exploitation de ses sites, leur modernisation, la préservation des emplois et de répondre aux objectifs de décarbonation de l’industrie sidérurgique.