EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En janvier dernier, la Commission européenne a engagé une procédure formelle d’examen contre la France portant sur les conditions de financement de l’activité de fret de la SNCF sur la période 2007‑2019.
Cette procédure visait à vérifier si Fret SNCF n’avait pas bénéficié indûment d’un avantage économique vis‑à‑vis de ses concurrents en raison des mesures de soutien accordées par l’État.
Aux yeux de la Commission européenne, en effet, les avances de trésorerie consenties à Fret SNCF depuis début 2007 et jusqu’au 1er janvier 2020, l’annulation de la dette financière de Fret SNCF au moment de son changement de statut et l’injection de capital de 170 millions d’euros consécutive à cette transformation étaient susceptibles de constituer des aides d’État, en violation des règles européennes destinées à garantir l’équité concurrentielle.
La Commission européenne devait en tout état de cause rendre sa décision dans un délai de 18 mois, mais anticipant sur les conclusions de l’enquête, le gouvernement a annoncé, le 23 mai dernier, un plan destiné prétendument à convaincre Bruxelles.
Ce plan prévoit notamment la liquidation de la SAS Fret SNCF au profit d’une nouvelle entité dont une part du capital pourrait être à terme ouvert à des intérêts privés, l’abandon de 30 % du trafic de l’opérateur public, la suppression de 500 emplois de cheminots, la cession à ses concurrents de plusieurs dizaines de locomotives…
Cette fuite en avant libérale est alarmante.
A contre‑sens du Pacte vert européen, ce projet de restructuration risque en effet de saborder l’objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici à 2030 prévu par l’article 131 de la loi « Climat et Résilience » de 2021. En privant la puissance publique d’un outil industriel stratégique, l’application aveugle des dogmes du marché conduirait à une nouvelle attrition du rail et à un renforcement de la suprématie routière.
Rappelons que de 2002 à 2018, les volumes transportés par le train sont passés de 50 milliards de tonnes.km à seulement 33. La part modale du fret ferroviaire en France est tombée à 10 %, quand elle atteint 23 % en Allemagne et 18 % en moyenne dans l’Union européenne. Pour chaque tonne abandonnée ou perdue par la SNCF, la moitié a été transférée sur les camions, dont l’activité émet 275 millions de tonnes de CO² par an et 8 fois plus de particules nocives que le chemin de fer.
Afin de respecter ses engagements climatiques, l’État s’est doté, à l’automne 2021, d’une Stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire qui prévoit un programme d’investissement de 300 millions d’euros par an jusqu’en 2024 en soutien à l’exploitation des services de fret ferroviaire.
Devant l’émotion provoquée par l’annonce de la liquidation du premier opérateur français, le ministre délégué aux Transports a voulu rassurer les syndicats en affirmant son engagement pour un fret ferroviaire public, contrôlé par le groupe SNCF et en annonçant de nouveaux investissements.
Le ministre souhaite ainsi renforcer les 170 millions d’euros par an décidés dans le cadre du plan France relance pour le soutien à l’exploitation par un maigre apport de 30 millions d’euros par an supplémentaires à partir de 2025. Le fret recevra également 4 milliards d’euros sur la prochaine décennie, dont 2 milliards seront apportés par l’État, pour soutenir les infrastructures.
Un effort de modernisation du réseau qui s’avère toutefois trois fois inférieur aux montants d’investissements demandés par l’Alliance 4F, association des professionnels du secteur. Ces annonces ministérielles ne représentent en outre qu’une maigre part du plan de 100 milliards d’euros de soutien au ferroviaire promis par la Première ministre en février dernier… Plan qui, au demeurant, s’étale sur une période de 17 ans et dont les modalités de financement restent pour le moins floues à ce stade.
Face à la gravité de la situation, et aux réponses manifestement inappropriées du gouvernement, il importe que la représentation nationale se saisisse de la question du devenir du fret ferroviaire en France.
Il convient au premier chef de faire le bilan des plans de relance du fret ferroviaire qui se sont succédés depuis 2003 qui n’ont pas permis à notre pays de sortir de l’impasse du tout routier ni d’engager le report modal massif attendu depuis le Grenelle de l’Environnement de 2008
Ce constat nous oblige à recenser les obstacles persistants au développement du fret ferroviaire, en termes de gestion du système ferroviaire, de chaîne logistique, de consistance du réseau et de maillage territorial, sans omettre les distorsions économiques, sociales et fiscales qui favorisent l’hégémonie du transport routier. Il s’agit également de dresser un bilan de l’ouverture à la concurrence du secteur, effective depuis 2006, et de l’état de santé des différentes entreprises du secteur, à commencer par l’opérateur public Fret SNCF qui achemine toujours, à lui seul, près de la moitié des trafics, et dont l’État doit garantir la pérennité.
Il est dans le même esprit indispensable de faire le point sur l’état d’avancement de la Stratégie nationale pour le fret ferroviaire et son adéquation aux enjeux et de préciser les montants et les sources de financement des investissements nécessaires à l’entretien et à la modernisation du réseau, au maillage du territoire et au développement des capacités de production.
Il est enfin de la responsabilité des parlementaires d’émettre des recommandations pour asseoir enfin le développement du fret ferroviaire sur une stratégie industrielle visant à la croissance des trafics de Fret SNCF et des autres opérateurs, étendre le domaine de pertinence du ferroviaire à de nouvelles catégories de marchandises, assurer un maillage fin du territoire et le raccordement au réseau des installations stratégiques comme les ports, les plateformes de l’agro‑alimentaire et les grands centres de logistique, et garantir la complémentarité avec les autres modes de transport.
En conséquence, nous vous invitons à adopter la proposition de résolution suivante.