Proposition de loi pour une contribution exceptionnelle sur le patrimoine des contribuables les plus riches plus financer la transition écologique

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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Huit ans après l’accord de Paris qui fixait pour objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5° C, la COP 28 s’est tenue du 30 novembre au 13 décembre 2023 à Dubaï. A l’issue des travaux, l’accord a permis de réaffirmer cet objectif, alors même que, de l’avis de très nombreux scientifiques, celui‑ci semble plus en plus inatteignable. Les émissions de dioxyde de carbone (CO2) fossile ont encore augmenté en 2023 et s’élèvent à 36,8 milliards de tonnes, soit une hausse de 1,1 % par rapport à 2022.

L’action mondiale visant à réduire les combustibles fossiles n’est pas assez rapide pour empêcher un changement climatique dangereux et doit plus que jamais s’accélérer afin de pouvoir tenir l’objectif ou, à minima, limiter la hausse des températures à 2° C.

Sur ce point, l’accord de la COP 28 reste clairement insuffisant, en préférant évoquer « un éloignement des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques », plutôt qu’une nécessaire sortie afin de parvenir concrètement à une baisse réelle de 40 % des émissions de CO2 d’ici à 2030.

Les choix que feront les pays en voie de développement, par leur poids démographique, vont être déterminants pour le futur : il faut se donner les moyens financiers et de coopération pour que tous ces pays puissent assurer leur développement tout en sortant des énergies fossiles.

À l’échelle de la France, décarboner notre économie est plus que jamais l’urgence qui doit mobiliser l’ensemble de la société. En juin 2021, l’Europe a réaffirmé l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, renforçant au passage la cible à atteindre pour 2030, de ‑40 % à ‑55 % (par rapport à 1990) d’émissions de GES.

Atteindre ces objectifs nécessite une mobilisation totale de toutes les parties de la société, car, outre l’enjeu écologique à maintenir un écosystème viable pour les années à venir et donc à limiter le réchauffement climatique, la transition écologique passera par une transformation radicale de notre modèle de développement.

Elle impliquera une modification profonde de notre mode de consommation, la décroissance de certains secteurs d’activité et également des investissements massifs, du secteur privé mais surtout de la puissance publique.

Ces investissements massifs sont chiffrés. L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) estime ainsi le besoin d’investissement annuel entre 55 et 85 milliards d’euros. Le rapport Pisani‑Ferry / Mahfouz ([1]) donnait lui une estimation minimale de 66 milliards d’euros. Il ajoutait à ces investissements les dépenses d’adaptation aux effets du changement climatique, mais aussi celles liées à la protection de la biodiversité, comme le financement de l’Office national des forêts (ONF) et de l’Agence française pour la biodiversité (AFB), la lutte contre l’artificialisation des sols et les aides à la conversion agroécologique de notre agriculture.

La moitié au moins de ces investissements devront provenir de la puissance publique :

– L’investissement dans les infrastructures de transport ferroviaire, dans les transports publics et les mobilités douces, afin de redonner en particulier leur attractivité aux transports ferroviaires de voyageurs et de marchandises.

– Les investissements dans la rénovation énergétique des logements sociaux et des bâtiments publics, mais aussi le soutien pour les logements privés.

– Les investissements dans la transformation de notre modèle agricole afin en particulier de réduire la dépendance de notre agriculture aux engrais azotés et aux pesticides et tendre vers la souveraineté protéique.

– Les investissements dans la formation et la recherche publique en faveur des métiers et des technologies d’avenir.

Ces investissements publics engendreront un besoin de financement. À cette fin, le levier de l’endettement public doit jouer pleinement son rôle. Dans cette perspective, il faudra bien entendu revenir sur les modalités d’endettement de l’État, afin de sortir du système de domination actuel des marchés financiers. Il faudra également revenir sur la prise en compte des investissements dans le calcul des déficits publics utilisés pour les critères de convergence budgétaire européens, comme le suggérait la proposition de résolution européenne de nos collègues Chassaigne et Wulfranc ([2]).

Pour autant, l’endettement public ne suffira pas seul et devra être complété par des recettes budgétaires nouvelles, avec un impératif à respecter, celui qu’elles soient justement réparties entre tous. En 2018, le mouvement des gilets jaunes a en effet démontré que les prélèvements obligatoires dévolus à la transition écologique doivent, dans une logique de justice sociale, corriger les inégalités, et non les exacerber.

À ce titre, deux données importantes doivent nous guider. Aujourd’hui, le mode de vie des 10 % les plus riches engendre des émissions de CO2 dix fois plus élevées que le mode de vie des 10 % les plus pauvres ([3]). Dans le même sens, les inégalités économiques ne cessent de croître depuis de nombreuses années, tant au niveau des revenus que des patrimoines. Ainsi, entre 1998 et 2018, le patrimoine brut moyen des 10 % les plus pauvres a diminué de 48 % quand celui des 10 % les plus riches a augmenté de 119 % ([4]).

Ces deux données démontrent que la question de la juste répartition de l’effort, tant au niveau de l’impact du mode de vie de chacun sur le dérèglement climatique que sur leurs facultés financières, constitue un enjeu central dans la lignée de l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

L’acception des efforts et le consentement à l’impôt nécessaires à la réussite du financement de la transition écologique passent donc nécessairement par une contribution financière des plus aisés. Dans le contexte d’augmentation tendancielle et de concentration des patrimoines privés et afin de garantir un certain rendement, cette contribution toucherait le capital privé des plus aisés. Selon le chiffrage de la mission Pisani‑Mahfouz, si un prélèvement de 5 % était mis en place en France sur 30 ans, pour les 10 % des ménages français les plus aisés, 150 milliards seraient engrangés, ce qui correspond par rapport au coût de la transition à 5 points de produit intérieur brut, soit 5 milliards par an.

L’article 1er de la proposition de loi vise donc à mettre en place cette contribution exceptionnelle, de 3 ans, sur le capital. Compte tenu de son caractère temporaire, l’assiette de cette contribution intègre l’ensemble du capital privé, sans distinction du patrimoine privé et du patrimoine professionnel (les seuls actifs exclus de l’assiette de la contribution étant ceux déjà soumis à l’impôt sur la fortune immobilière). Pour ce faire, un prélèvement de 2 % serait opéré sur les patrimoines compris entre 5 et 100 millions d’euros, 6 % entre 100 millions d’euros et 1 milliard d’euros et 10 % sur les patrimoines excédant 1 milliards d’euros.

Afin d’éviter toute situation de dumping fiscal, mais aussi parce que les enjeux développés concernent l’ensemble des pays européens, nous pensons que le levier fiscal doit, dans la mesure du possible, être mis en place au niveau européen, dans la lignée de la recommandation du rapport Mattei/Sansu, qui préconisait la mise en place au niveau européen de prélèvements exceptionnels et explicitement temporaires sur le patrimoine des contribuables les plus riches, dont le montant serait calibré ex ante en fonction du coût anticipé pour les finances publiques. C’est l’objet de l’article 2, qui demande au Gouvernement de remettre au parlement un rapport sur l’opportunité et le chiffrage d’un dispositif identique au niveau européen, afin d’inviter le Gouvernement à se rapprocher de ses partenaires européens pour mettre en place cette contribution exceptionnelle sur le capital au niveau européen.