Proposition de loi visant à réduire la précarité sociale et monétaire des familles monoparentales

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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Quelles qu’en soient les causes, la monoparentalité est un phénomène en constante progression qui, désormais, concerne un foyer sur quatre.

Dans les territoires dits d’Outre‑mer, et particulièrement aux Antilles, la part des familles monoparentales est même devenue majoritaire parmi les familles avec enfant. Ainsi en Martinique, la part des familles monoparentales était estimée à 59 % des ménages avec enfant en 2018 (contre 27 % en 1990) et à 52 % en Guadeloupe. Et si, en moyenne, un enfant sur quatre vit dans une famille monoparentale dans l’Hexagone, ce sont en moyenne deux enfants sur quatre qui sont concernés par cette configuration familiale aux Antilles et en Guyane.

Par ailleurs, la monoparentalité est une situation dont on ne peut nier le caractère genré qui concentre et exacerbe l’ensemble des inégalités vécues par les femmes dans la société et au travail. En effet, dans 82 % des cas, ce sont les mères qui sont à la tête de ces familles monoparentales. A la Réunion, ce sont même 98 % des familles monoparentales qui sont composées d’une mère seule, et 66 % d’entre elles ont plus d’un enfant à charge ([1]).

Ainsi, si les familles monoparentales recouvrent une pluralité de situations de vie, il n’en demeure pas moins vrai et vérifié par de nombreuses études statistiques et sociologiques qu’elles sont un lieu propice à une plus forte précarité monétaire et à des inégalités sociales accrues.

Dans son « Étude sur les familles en 2020 » publiée en septembre 2021, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) notait qu’en 2018 la pauvreté monétaire touchait plus du tiers des personnes vivant au sein d’une famille monoparentale, soit 2,3 millions de personnes. « 41 % des enfants mineurs vivant en famille monoparentale » dans l’Hexagone se trouvaient ainsi en 2018 « au‑dessous du seuil de pauvreté monétaire », une proportion presque deux fois supérieure à celle de l’ensemble des enfants dont la part vivant sous le seuil de pauvreté est estimée à 21 %. L’Insee soulignait également que « dans un tiers des familles monoparentales, le parent avec lequel les enfants résident n’a pas d’emploi ». Cette situation a pour immédiate conséquence un niveau de vie dégradé pour les enfants : quand le parent assurant la garde est privé d’emploi, « 77 % des enfants sont pauvres, contre 23 % quand le parent est en emploi ».

Et de fait, l’insuffisance des ressources financières, le risque du chômage ou la précarité de l’emploi sont logiquement plus élevés dans une famille monoparentale que dans un couple avec enfant(s).

Cette vulnérabilité sociale et économique est d’autant plus aggravée par la surreprésentation des femmes à la tête des familles monoparentales. En effet, les inégalités salariales dont souffrent les femmes (contrats précaires, bas salaires, temps partiels subis, évolution salariale entravée et inégalitaire) sont exacerbées par leur isolement et constituent indéniablement un facteur aggravant de précarisation.

Ainsi, 22 % des enfants en famille monoparentale avec leur père sont pauvres, proportion proche de la moyenne de l’ensemble des enfants, contre 45 % pour les enfants en famille monoparentale avec leur mère. La moitié des pères de familles monoparentales sont propriétaires de leur logement, contre un quart des mères vivant seules avec leur(s) enfant(s). Les pères sont aussi nettement plus souvent en emploi (81 % contre 67 %), et moins fréquemment au chômage (10 % contre 18  %) que les mères dans la même situation familiale. Enfin, quand ils sont en emploi, les pères de famille monoparentale sont aussi plus souvent cadres que les mères (18 % contre 10 %), avec un écart plus marqué que parmi les parents en couple.

De plus, en assumant seules la charge de leur(s) enfant(s), les femmes sont fréquemment contraintes de renoncer à toute évolution professionnelle, voire de quitter le milieu professionnel. Leur socialisation s’en trouve d’autant réduite dans un repli sur le seul rôle de mère ([2]).

Ainsi parle‑t‑on de « parents isolés » et plus fréquemment encore de « mères isolées », une expression révélatrice du manque de reconnaissance de ces parents, d’emblée marqués à travers cette dénomination d’une forme d’exclusion sociale.

Cette proposition de loi vise précisément à ne plus considérer comme une fatalité cet isolement des familles monoparentales.

Mais cet « isolement » fait signe aussi vers le délaissement de ces familles monoparentales par les pouvoirs publics. Car force est de constater que bien que la famille monoparentale ait acquis une réalité sociologique et économique relativement bien documentée, la réponse à leurs besoins spécifiques en matière sociale et économique se fait grandement attendre.

Sur la base de ces constats et dans un contexte politique qui semble propice à faire évoluer la reconnaissance et les droits des familles monoparentales, la présente proposition de loi vise modestement à engager de premières réformes attendues de longue date par ces familles. Concrètement, les propositions ici présentées visent à renforcer les politiques publiques en direction de ces familles en ciblant certes leur surexposition à une pauvreté monétaire, mais en cherchant également à répondre à leurs besoins spécifiques en matière de soutien à la parentalité. Dit autrement, l’enjeu est de garantir à ces parents et à leurs enfants une protection accrue contre la précarité sociale et monétaire qu’ils subissent, l’un et l’autre étant indissociables.

Dans cette perspective, l’article 1er vise à prolonger le congé maternité pour les femmes en situation de monoparentalité au moment de l’accouchement, qu’elles soient ou non en situation d’emploi. Le délai serait semblable aux femmes qui assument déjà la charge de deux enfants au moins. Concrètement, cette disposition permettrait un congé maternité effectif pendant huit semaines avant la date présumée de l’accouchement au lieu de six semaines et pendant dix‑huit semaines, au lieu de dix, après la naissance de l’enfant. Cette disposition vise à répondre aux besoins de santé de la mère et de son enfant, mais aussi à rétablir une égalité de traitement avec les familles en couple qui peuvent articuler le congé maternité à un congé paternité.

L’article 2 vise à accorder le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Il s’agit, avec cette proposition, de reconnaître formellement que les enfants naissant dans une famille monoparentale ont en général un niveau de vie plus faible et qu’ils sont davantage exposés à des conditions de vie précaires que les autres enfants, et qu’à ce titre, il convient de renforcer auprès de ces familles l’aide à la subsistance et à l’éducation des enfants. Une telle disposition est d’ailleurs en vigueur dans les territoires dits d’« outre‑mer ».

L’article 3 vise à favoriser l’accès au logement des familles monoparentales en adaptant les modalités d’attribution de l’aide personnalisée au logement (APL). En effet, 24 % des enfants de familles monoparentales vivent dans un logement surpeuplé. Afin de favoriser l’accès à une meilleure qualité de logement pour ces familles, il s’agit d’exclure la pension alimentaire et l’allocation de soutien familial des ressources prises en considération pour le calcul de l’APL.

L’article 4 gage la présente proposition de loi.