Proposition de Résolution européenne relative à l’adoption d’exigences à l’importation pour le respect de normes de production équivalentes

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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les agriculteurs qui font l’effort de faire évoluer leurs pratiques pour s’engager dans la transition agro écologique ne doivent pas se trouver pénalisés par des règles de marché qui leur sont trop souvent défavorables. En économie, une situation de distorsion de concurrence a lieu lorsqu’un facteur exogène interfère dans un équilibre concurrentiel. Le constat est posé d’une dégradation relative de la compétitivité des produits agricoles français. Or, l’adoption de règles environnementales plus contraignantes, dans l’Union européenne voire en France, aurait pour effet de dégrader la compétitivité de nos producteurs, en l’absence de mesures de réciprocité des normes, notamment de mesures miroirs.

Il importe d’objectiver ces situations de distorsion de concurrence. Il importe également d’identifier les verrouillages qui, sur le marché français, tendent à défavoriser les producteurs qui adoptent des pratiques vertueuses.

En premier lieu, la perception de distorsions de concurrence défavorables aux producteurs français est assise sur un constat, celui de la perte de compétitivité des productions françaises, avec un accroissement des importations dans de nombreux secteurs. Un rapport du Haut‑commissariat au plan daté de juillet 2021 relève ainsi que « les importations agricoles et agroalimentaires de la France représentent au total environ 20 % de l’alimentation nationale. Sur les 26 millions d’hectares mobilisés pour l’alimentation des Français, soit pratiquement le même ordre de grandeur que la superficie agricole utilisée (SAU) française (28,6 millions d’hectares en 2019), presque 10 millions d’hectares se trouvent hors de France ». La France, par ailleurs, occupe une place majeure dans les exports agricoles mondiaux (6e rang, 4 % du marché mondial), bien que cette part recule depuis vingt ans. Pour de nombreuses filières (viande, céréales, vins et spiritueux…), elle reste le premier exportateur européen.

L’agriculture française est concurrencée à la fois par des importations issues de pays membres de l’Union européenne et de pays tiers. Dans le premier cas, la solution aux distorsions de concurrence repose sur une harmonisation européenne accrue. Dans le second cas, et alors que le différentiel en matière de norme environnementale et sanitaire est considérable, nous militons pour l’établissement systématique de mesures miroirs. Le risque est que cet antidote aux concurrences déloyales finisse par s’imposer dans le débat public comme justifiant l’extension du libre‑échange alors même que nous ne serions pas en capacité à démonter l’effectivité de ces mesures en matière de régulation.

L’objet de cette résolution est d’esquisser des solutions susceptibles d’être réellement au service d’un juste échange. Elles sont notamment issues du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire, réalisée au second semestre 2023. La question des concurrences déloyales a fait l’objet d’un important travail d’analyse tant il est apparu aux membres de cette commission d’enquête que la résorption de ces injustices économiques étaient une des conditions de la transition agroécologique.

Nous formulons à travers cette résolution cinq propositions :

– un principe général novateur : l’inversion de la charge de la preuve pour les opérateurs économiques qui exportent au sein de l’Union européenne ;

– une disposition précise de limites résiduelles égale à 0 en matière de produits phytopharmaceutiques interdits au sein de l’Union européenne ;

– un principe de réciprocité visant la fin de l’exportation des produits phytopharmaceutiques interdits au sein de l’Union européenne ;

– un processus d’harmonisation de la mise en œuvre des normes environnementales entre les pays membres de l’Union européenne ;

– une capacité étendue de recours à l’indication d’origine.

Inverser la charge de la preuve dans la mise en œuvre des mesures miroirs

Malgré leurs caractères lacunaires, s’il existe aujourd’hui des mesures de protection pour la santé des consommateurs européens, elles ne le sont pas pour celle de la population des pays exportateurs, ni pour l’environnement. Or, les enjeux environnementaux sont, à l’évidence, des enjeux globaux.

Il importe donc d’aller vers la définition de mesures miroirs dans le droit européen, de nature à garantir que les produits importés respectent des normes de production conformes aux exigences européennes.

Dans le secteur de l’élevage, l’Union européenne met déjà en œuvre des dispositifs qui s’apparentent à des mesures miroir, en ce qu’elles conditionnent l’accès au marché européen au respect de normes sanitaires et environnementales spécifiques.

C’est le cas, en particulier, de l’interdiction des hormones de croissance. Les pays qui souhaitent exporter des produits animaux vers l’Union Européenne doivent se conformer à cette interdiction en mettant en place un système spécifique, placé sous la responsabilité des autorités du pays producteur, qui contrôle les procédés au niveau de la chaîne de production. La réglementation européenne impose également un système de traçabilité des animaux et une accréditation des abattoirs. La Commission européenne peut effectuer des audits dans les pays producteurs. Des audits conduits en 2014, 2019 et 2022 au Canada ont révélé de nombreuses carences dans la mise en place de ces obligations, au point que le respect de l’interdiction de traitement aux hormones n’apparaissait pas effectif.

Il convient de porter l’ambition d’inscrire des mesures miroirs dans les directives et règlements européens, obligeant les exportateurs vers l’Union européenne à respecter les cahiers des charges européens en matière de sécurité sanitaire et environnementale.

Au‑delà, il importe d’avancer sur la question des modalités de contrôle envisageables pour ces mesures miroirs. L’interdiction des hormones de croissance montre qu’une chose est de voter la mesure miroir, c’en est une autre d’en assurer le respect. En effet, l’application de ces normes impliquerait des contrôles au sein des sites de production agricole et des filières agroalimentaires de ces pays, qui ne disposent pas des mêmes outils de traçabilité.

Pour surmonter cette difficulté, il conviendrait d’inverser la charge de la preuve au moment de l’entrée des produits dans l’Union européenne : dans la situation où une mesure miroir est prévue dans le droit européen, il incomberait à l’exportateur d’apporter la preuve, au moyen d’un certificat délivré par un organisme tiers agréé par l’Union européenne, que ses denrées ont été produites dans des conditions conformes aux normes européennes. Cette disposition serait de nature à alléger la charge sur les services de contrôle européens et nationaux, lesquels devraient tout de même être considérablement renforcés. Les entreprises européennes et leurs chaînes de valeur (fournisseurs et sous‑traitants) doivent également être mises à contribution, en responsabilité, sur le modèle de la diligence raisonnée adoptée dans le règlement sur la déforestation importée.

Cette approche peut être utilisée non seulement pour des mesures miroirs sur les réglementations européennes en matière de pesticides mais aussi sur d’autres standards clés pour l’élevage en particulier (lutte contre l’antibioresistance, bien être animal, etc.).

Limite maximale de résidus : pour la fin des tolérances à l’importation

Le différentiel des importations extra‑UE qui ne sont pas soumises aux normes phytosanitaires européennes pose problème non seulement parce qu’il dégrade la compétitivité relative de notre production, mais aussi parce qu’il nous conduit à importer des produits qui ont été cultivés dans des conditions que la France et l’Union européenne ont jugées – de façon universelle – néfastes pour la santé humaine et pour l’environnement. Or, les mesures adoptées pour protéger l’agriculture et le consommateur européen apparaissent globalement insuffisantes au regard des enjeux.

Outre la procédure d’autorisation des substances actives et produits phytopharmaceutiques, la politique de l’Union européenne en matière de réduction des risques liés aux pesticides repose sur le contrôle des limites maximales de résidus (LMR) dans les aliments. En vertu du règlement (CE) 396/2005, les LMR sont les niveaux supérieurs de résidus de pesticides légalement admis dans ou sur les aliments destinés à l’alimentation humaine ou animale, sur la base des bonnes pratiques agricoles et de la plus faible exposition nécessaire pour protéger les consommateurs vulnérables.

Elles sont établies après une évaluation complète des propriétés de la substance active et des utilisations prévues du pesticide concerné par l’Efsa (European Food Safety Authority), en étroite collaboration avec les États membres. Pour établir ces LMR, l’exposition alimentaire chronique (à long terme) et aiguë (à court terme) des consommateurs aux résidus de pesticides est estimée à l’aide d’un modèle de calcul développé par l’Efsa. Sur cette base, la Commission publie un règlement pour établir une nouvelle LMR ou modifier ou supprimer une LMR existante.

En principe, les LMR s’appliquent de manière indifférente aux denrées produites dans l’Union européenne et à celles qui sont importées de pays tiers. Par ce moyen, l’Union européenne cherche à assurer un niveau de protection équivalent vis‑à‑vis des aliments mis sur le marché, quelle que soit leur origine. Concrètement, pour les produits phytopharmaceutiques autorisés au sein de l’Union européenne, la LMR s’appliquant aux produits importés est similaire à celle prévue au sein de l’Union européenne.

Critères d’établissement des LMR par l’Efsa

Pour s’assurer que les LMR définies pour un pesticide respectent la sécurité du consommateur, l’Efsa considère que chaque fruit, légume et céréale pour lesquels une autorisation de mise sur le marché du pesticide a été délivrée, contient la teneur maximale autorisée en résidu de pesticide. Elle fait la somme de ces résidus potentiels en prenant en compte le régime alimentaire de toutes les catégories de populations y compris sensibles comme les bébés de quatre mois et les enfants.

La quantité de pesticide théorique ingérée est alors comparée à la dose journalière admissible (DJA) qui correspond à la dose sans effet, obtenue après études de toxicité sur animaux. Dans tous les cas les LMR sont établies de façon à rester bien en deçà des seuils toxicologiques, c’est‑à‑dire de manière à ce que les quantités de résidus qu’un individu est susceptible de retrouver quotidiennement dans son alimentation ne soient en aucun cas toxiques, à court et à long terme.

Cependant, on note d’emblée deux limites dans le recours aux LMR pour évaluer la conformité des produits importés aux normes environnementales et sanitaires européennes :

– tous les produits phytosanitaires utilisés dans la production végétale ou animal ne sont pas détectables dans les denrées qui sont commercialisées. La LMR ne rend ainsi que très partiellement compte des normes phytosanitaires appliquées à la production ;

– certains importateurs recourent à des produits « masquants » qui permettent de faire en sorte que les résidus ne soient pas détectés lorsque les produits sont testés.

Sans compter que les LMR ne couvrent pas tous les produits importés. En pratique, les produits destinés à l’alimentation animale ne sont pas toujours couverts et il n’y a pas de LMR pour des produits à usage énergétique ou ornemental (comme les fleurs).

Par ailleurs, s’agissant des pesticides interdits ou pour lesquels aucune demande d’autorisation n’a été introduite au sein de l’Union européenne, la LMR est normalement abaissée à la limite de quantification, qui correspond généralement à l’absence de résidu détectable par les méthodes d’analyse courantes (valeur par défaut de 0,01 mg/kg). Mais cette mise à jour peut prendre du retard.

En outre, la Commission européenne peut ensuite relever cette LMR au titre d’une tolérance à l’importation, « afin de répondre aux besoins du commerce international » et après une évaluation des risques concluant à l’absence d’effet inacceptable pour l’exposition alimentaire.

En principe, ces tolérances à l’importation s’appliquent uniquement dans les cas où la substance n’est pas autorisée « pour des raisons autres que de santé publique », ce qui signifie que l’impact environnemental avéré d’une substance ne fait pas obstacle à l’établissement de tolérances à l’importation.

Ainsi, pour éviter que leurs molécules ne soient interdites pour des raisons sanitaires (classification CMR), les fabricants de pesticides laisseraient souvent expirer leurs homologations au sein de l’Union européenne, dans l’espoir d’obtenir une tolérance à l’importation sur la LMR applicable à leur substance ensuite.

Dans le cadre de la stratégie «  de la ferme à la table  », l’Union européenne s’est néanmoins engagée à tenir compte des aspects environnementaux lors de l’évaluation des demandes de tolérances à l’importation pour les pesticides qui ne sont plus autorisés dans l’Union.

Les produits importés dans l’Union européenne font l’objet de contrôles aux frontières, dans le cadre d’un programme européen de contrôle pluriannuel et coordonné, qui chaque année, exige que les États membres prélèvent des échantillons, effectuent des analyses et mènent des essais sur un éventail convenu de produits – pertinent par rapport au régime alimentaire – pour un éventail convenu de pesticides. Par ailleurs, les États membres disposent de leurs propres programmes nationaux fondés sur l’évaluation des risques. En France, ce contrôle relève désormais de la compétence de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI).

Cependant, ces contrôles apparaissent d’autant plus limités en ampleur que les non‑conformités détectées sont assez importantes. Ainsi, sur les 907 substances actives interdites en Europe, le plan de surveillance de l’Union européenne n’impose d’en tester que 176.

Le contrôle du respect des LMR aux frontières en France

La DGDDI effectue des contrôles à l’importation avant‑dédouanement sur deux types de marchandises concernées par un risque de contamination par des résidus de pesticides. La réglementation européenne prévoit des contrôles aux postes de contrôle frontaliers pour les biens en provenance de certains pays tiers pour lesquels la Commission a décidé qu’une mesure imposant un renforcement temporaire des contrôles officiels à l’entrée dans l’Union était nécessaire en raison d’un risque connu ou émergent.

Une liste de couples pays/produit à risque chacun associés à un danger est pour ce faire définie au niveau européen. Le danger consiste en la présence d’un ou plusieurs contaminants spécifiques, parmi lesquels figurent les résidus de pesticides. Le risque est estimé sur le fondement des non‑conformités relevées par l’ensemble des États membres et révisé tous les semestres.

Les marchandises importées figurant sur cette liste doivent ainsi obligatoirement faire l’objet d’une notification préalable et d’un contrôle avant‑dédouanement au poste de contrôle frontalier (PCF) du premier point d’arrivée dans l’Union européenne.

Les PCF réalisent des contrôles documentaires sur l’ensemble des envois notifiés, et des contrôles d’identité et physiques selon les fréquences prescrites au niveau européen. Ces fréquences peuvent varier de 5 % à 50 % en fonction du niveau de risque présenté par le triptyque pays/produit/contaminant.

La fixation de ces taux dépend donc de l’analyse du risque effectuée par la Commission européenne. Cette mesure est basée sur la probabilité de dépassement en fonction des résultats qui avaient été obtenus précédemment. Les taux sont modulés tous les six mois.

En 2023, 39 triptyques concernent des produits exigeant un contrôle renforcé et 24 triptyques relèvent de mesures d’urgence en lien avec des résidus de pesticides.

Le contrôle physique donne lieu à un prélèvement d’échantillons transmis à un laboratoire du Service commun des laboratoires (SCL). Le laboratoire rend ses conclusions au PCF. Si la contamination dépasse les limites maximales de résidus (LMR) prévues par la réglementation européenne, l’envoi ne peut pas être importé dans l’Union européenne.

Cependant, les résultats des contrôles effectués par la DGDDI révèlent des non‑conformités importantes. Ainsi en 2022, des contrôles documentaires ont été effectués sur 17 000 lots. Des contrôles physiques ont ensuite été effectués sur certains de ces lots, en fonction du pourcentage approprié décidé au niveau européen. 860 lots ont donné lieu à des analyses en résidus de pesticides. Un peu moins de 80 % d’entre elles ne contenaient pas de traces détectables. En revanche, 89 lots révélaient des non‑conformités qui ont été remontées à la Commission européenne, soit plus de 10 % des lots analysés.

Une solution transitoire : la clause de sauvegarde

Le règlement européen 178/2002 prévoit des mesures d’urgence permettant de bloquer l’entrée sur le territoire de l’UE de produits qui présenteraient « un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement ». Si ces clauses de sauvegarde peuvent ainsi être une solution d’urgence pour éviter l’importation de denrées produites avec des pesticides considérés comme trop risqués au sein de l’UE, elles ne peuvent être que transitoires, dans l’attente d’une redéfinition des conditions d’acceptabilité des produits qui entrent sur le marché européen.

Il est indispensable que les mesures applicables aux aliments importés soient les mêmes que celles qui s’appliquent aux produits européens s’agissant des LMR. Il n’est pas justifiable que les LMR jugées adaptées pour les productions européennes puissent faire l’objet de tolérances pour les productions importées, dans la mesure où le critère pour l’établissement de ces valeurs est bien un critère sanitaire et environnemental, qui ne saurait faire l’objet d’aménagements. Les intérêts du commerce international ne sauraient être mis en balance avec la santé des consommateurs européens. La suppression des tolérances à l’importation implique, pour l’ensemble des substances interdites au sein de l’Union européenne, l’abaissement des LMR au seuil de quantification.

Par ailleurs, il importe de poursuivre le développement des méthodes de détection afin d’abaisser encore les limites de quantification des résidus.

La contrepartie : engager une trajectoire visant à l’arrêt de l’exportation des produits interdits dans l’Union européenne

La suppression des tolérances à l’importation sur les LMR et l’inscription de mesures miroirs dans le droit européen a une contrepartie indispensable. Si l’Union européenne ne veut plus des denrées issues de pays tiers ayant été produites dans des conditions non conformes à ses principes en matière phytosanitaire, elle ne peut plus laisser les industriels européens exporter massivement vers les pays tiers des produits jugés inacceptables pour la santé et pour l’environnement en Europe.

La loi Egalim prévoit dans son article 83 l’ajout d’une nouvelle interdiction relative à la production, au stockage et à la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l’environnement. Concrètement, cette disposition interdit la production, la circulation et l’exportation depuis le territoire national de produits phytopharmaceutiques contenant des substances interdites dans l’Union européenne compte tenu de leur dangerosité pour la santé et l’environnement.

Par ailleurs, les produits qui contiennent des substances ayant fait l’objet d’une approbation à l’échelle européenne qui est arrivée à échéance et dont la demande de renouvellement d’approbation n’a pas été soumise aux autorités européennes pour des raisons relatives à la protection de la santé humaine, animale ou environnementale entrent également dans le champ de l’interdiction de l’article 83 de la loi Egalim.

L’article 83 est finalement entré en vigueur le 1er janvier 2022, après plusieurs rebondissements qui ont, pendant un temps, semblé pouvoir remettre en cause le contenu. L’article 83 de la loi Egalim comporte des failles qui ont été soulignées notamment par les organisations de défense de l’environnement.

En premier lieu, l’interdiction de l’exportation de produits phytosanitaires contenant des substances interdites ne s’applique ainsi pas aux substances actives elles‑mêmes, ce qui permet aux industriels de continuer à produire ces substances et de les commercialiser à l’étranger dans leur forme pure.

En outre, le décret d’application de cet article a ajourné l’interdiction d’export des produits qui contiennent des substances ayant fait l’objet d’une approbation à l’échelle européenne arrivée à échéance et dont la demande de renouvellement d’approbation n’a pas été soumise aux autorités européennes, pourtant clairement mentionnée à l’article 83. L’entrée en vigueur de la loi, au 1er janvier 2022, n’a donc pas mis fin aux exportations.

Même si les exportations de substances interdites depuis la France ont globalement diminué avec l’entrée en vigueur de la loi Egalim, cette baisse dissimulerait en réalité une relocalisation de la production sur le territoire d’autres pays européens. Ce fait souligne la nécessité absolue d’une trajectoire visant à une interdiction généralisée à l’échelle européenne.

C’est en ce sens que la Belgique et l’Allemagne se sont ainsi engagées à interdire aussi l’exportation des pesticides interdits en Europe. En Belgique, cette démarche s’est concrétisée par l’adoption d’un arrêté royal le 29 juin 2023, qui interdit de produire et d’exporter des pesticides interdits ou strictement réglementés dans l’Union européenne vers d’autres continents.

Ce principe de réciprocité doit désormais être inscrite sans ambiguïté dans le droit européen.

Mettre un terme aux distorsions internes à l’Union européenne

Les distorsions liées à des divergences dans les autorisations de pesticides selon les États membres sont perçues comme massives par les filières et par les syndicats agricoles alors que le règlement européen de 2009 laisse en réalité assez peu de marges de manœuvre aux États membres : il oblige les États membres à se conformer aux résultats de l’évaluation des risques conduite par l’agence sanitaire.

Le premier facteur explicatif de ce paradoxe est celui d’un différentiel de rigueur et de compétences au sein des différentes agences sanitaires des États membres qui aboutirait à des évaluations plus strictes, plus exhaustives, plus réactives dans certains pays, et donc, à des interdictions plus précoces de produits, lorsqu’un risque pour la santé ou pour l’environnement se fait jour. De ce point de vue, force est de constater que l’Anses a, à plusieurs reprises, été en avance de phase sur l’Europe pour interdire certains produits, ce qui a pu induire des distorsions pour les producteurs français.

La responsabilité des agences dans ces divergences entre États peut aussi découler des délais observés pour conduire les évaluations. Les articles 30 et 81 du règlement 1107/2009 autorisent les États membres à octroyer une autorisation provisoire de cinq ans maximum dans le cas où la procédure d’autorisation prendrait plus de temps que prévu.

Elle peut enfin résulter d’une faible mise en œuvre, par l’agence sanitaire, de la procédure de reconnaissance mutuelle des autorisations au sein des zones. Au lieu de simplement retranscrire l’autorisation accordée par un autre État membre, l’agence referait en tout ou partie le travail d’évaluation, ce qui induirait à la fois des délais et des disparités.

Pour mémoire, les dérogations de l’article 53 du règlement européen 1107/2009 permettent à un État membre, faisant face à une menace critique compromettant la production, d’utiliser exceptionnellement, spécifiquement sur la culture en péril, et pour une durée limitée (maximum 120 jours, renouvelable), un produit ne satisfaisant pas les conditions de son autorisation au niveau européen. S’il est difficile de comparer directement les produits ayant fait l’objet de dérogations – celles‑ci étant liées aux conditions particulières propres à un territoire – il s’avère que certains États sont particulièrement utilisateurs de cette procédure.

Parfois, sans mettre en péril la production, ces distorsions ont pour effet d’en rehausser le coût relatif. En effet, les producteurs doivent utiliser des alternatives qui s’avèrent plus coûteuses que le produit interdit en France et encore utilisé par leurs concurrents.

Il importe de remédier aux distorsions évoquées ci‑dessus, qui ont un impact très prégnant sur les producteurs français, lesquels évoluent dans un marché unique européen où les productions de l’ensemble des pays circulent librement et sans contrainte aucune. Dans ce contexte, toute contrainte supplémentaire sur la production, tout décalage temporel dans ces contraintes est source de distorsions de concurrence.

Les distorsions de concurrence induites par des écarts de réglementation entre les États membres méritent d’être clarifiées, objectivées et traitées en tant que telles. À ce jour, il semble ne pas exister de panorama global des procédures d’autorisation conduites au sein des États membres, des exigences supplémentaires éventuellement appliquées, des différences de délais, des dérogations et autorisations temporaires adoptées, avec les conséquences que cela induit.

Pourtant, les États membres sont tenus de notifier à la Commission européenne tout écart au texte réglementaire. Celle‑ci est donc la destinataire de nombreuses notifications en ce sens, dont elle ne se saisit pas dans un but d’harmonisation.

Il importe ainsi, à court terme, de documenter les écarts entre les réglementations adoptées dans les différents États membres, afin de chercher à les réduire.

À plus long terme, dans le cadre de la prochaine mandature du Parlement européen, la question d’une unification totale des procédures d’autorisation de mise sur le marché (AMM) au sein de l’Union européenne devra être mise sur la table. Cela ne signifie pas que les AMM données seraient uniformes sur tout le territoire de l’Union : les décisions d’AMM préciseraient exactement les usages et les conditions pédoclimatiques justifiant le recours à un produit. Mais le processus de décision serait transparent et unifié à l’échelle de l’Union européenne. Du reste, cette procédure pourrait être mise en place dans le cadre du réseau que constitue l’Efsa avec les agences sanitaires nationales.

Étendre la capacité de recours à l’indication d’origine

Un moyen complémentaire pour protéger les productions françaises et européennes, face aux productions de pays tiers qui ne répondraient pas aux mêmes exigences sanitaires et environnementales, consiste à miser sur l’étiquetage des produits et la segmentation du marché qui en découle. Cette stratégie repose sur le fait que le consommateur sera sensible à cet étiquetage, qui constituera une incitation à acheter le produit qui, de cette manière, se révélera être celui qui répond aux meilleurs standards.

Il s’avère en effet que les consommateurs sont assez sensibles à l’indication de l’origine géographique, privilégiant le « made in France ». Cependant, cette indication de l’origine n’est, à l’heure actuelle, obligatoire que pour un nombre restreint de produits, en particulier les fruits et légumes frais, le miel, la viande, le poisson, les œufs, l’huile d’olive et les vins et spiritueux.

Depuis le 1er avril 2020, lorsque l’étiquetage d’un produit transformé fait apparaître l’origine d’une denrée alimentaire et que celle‑ci diffère de celle de son ingrédient primaire, l’indication de l’origine de l’ingrédient en question devient obligatoire. Il apparaît que ces exigences en matière d’indication de l’origine pourraient être précisées et renforcées, notamment en faisant en sorte que le pays soit précisément mentionné, à la place de l’indication « UE » ou « non UE ».

Ces évolutions supposent l’engagement de discussions en vue d’une modification du règlement européen INCO qui régit l’étiquetage des denrées alimentaires.