Proposition de Résolution visant à mettre en place un impôt mondial sur le patrimoine détenu par les ménages les plus riches

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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Des décennies de baisse des impôts sur les plus aisés, fondées sur la fausse promesse selon laquelle la richesse au sommet profiterait à tous, ont contribué à l’augmentation des inégalités extrêmes. Nos choix politiques permettent aux individus ultra‑riches de continuer à recourir aux abris fiscaux et à bénéficier d’un traitement préférentiel dans la mesure où, dans la plupart des pays du monde, ils paient des taux d’imposition inférieurs à ceux des citoyens ordinaires. » Il s’agit là de l’extrait d’une lettre, publiée le 5 septembre dernier par un collectif composé de millionnaires, d’économistes et de personnalités politiques, destinée aux dirigeants du G20, réunis les 9 et 10 septembre à New Delhi.

En janvier 2023, c’était au forum de Davos que le collectif de millionnaires américain « Patriotic millionnaires » interpellait les dirigeants politiques les enjoignant à les taxer davantage : « Taxez les ultra‑riches et faites‑le maintenant. C’est de l’économie simple et de bon sens. C’est un investissement dans notre bien commun et un avenir meilleur que nous méritons tous, et en tant que millionnaires, nous voulons faire cet investissement ».

En parallèle, le taux de pauvreté en France s’accentue. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), il est passé de 13,6 % de la population en 2020 à 14,5 % en 2021. En analysant les données de l’Insee, on s’aperçoit que lors des vingt‑cinq dernières années, jamais autant de personnes résidant dans un logement ordinaire n’avaient vécu sous le seuil de pauvreté. Elles étaient 9,1 millions en 2021, soit 1,5 millions de plus qu’il y a vingt‑cinq ans. Alors que le nombre de personne vivant sous le seuil de pauvreté augmentait sur la période 2020‑2021, Oxfam indique que sur la même période, la fortune des milliardaires français augmentait de 86 %. Autrement dit, la fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté en 19 mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie ([1]). Si ces inégalités ont pu se creuser c’est également à cause des choix politiques fait par le Gouvernement d’Emmanuel Macron. À titre d’exemple, les réformes de la fiscalité du capital engagées par le Gouvernement ont fait perdre 4,5 milliards de recettes [2]fiscales du fait du passage de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). En parallèle, ce même Gouvernement a baissé les aides personnalisées au logement (APL), réformer l’assurance chômage réduisant l’aide accordée aux salariés ayant perdu leur emploi et continue les coupes budgétaires dans les services publics dans un but de réduction de la dépense publique. Afin de remettre un tant soit peu de justice sociale, le choix est simple : il faut taxer les riches.

Faire contribuer les plus riches à l’effort collectif est une mesure qui a déjà également été défendue par de nombreux économistes comme MM. Joseph A. Schumpeter en 1918, John Maynard Keynes ou encore Friedrich Hayek en 1940 ([3]). Par le passé, la France a déjà mis à contribution les plus riches. Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’impôt de solidarité nationale (ISN) est instauré. Il taxait les augmentations de patrimoine réalisées sur le territoire national, entre 1940 et le 4 juin 1945, au profit de personnes dont le patrimoine s’était accru à 200 000 F ou dont l’enrichissement dépassait 50 000 F. Cet exemple témoigne que la mise en place d’une contribution ponctuelle à l’égard des plus riches relève essentiellement de choix idéologique et politique. Lorsque les conditions l’imposent, les gouvernant savent taxer les riches. Fin 2020, c’est l’Argentine qui, à la suite de la pandémie de covid‑19, instaure un prélèvement unique de 2 % sur les 10 000 ménages du pays dont le patrimoine dépasse l’équivalent de deux millions d’euros ([4]).

Des voix s’élèvent également parmi les personnalités politiques pour légiférer sur le sujet. C’est le cas du président américain qui, en mars dernier, a présenté ses orientations budgétaires pour la suite de son mandat. Il souhaite la mise en place d’une taxe de 25 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions, ainsi qu’une taxe portant sur le stock de fortune la première année, puis sur l’augmentation de celle‑ci au fil des années. [5]

En 2021, c’est l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui parvenait à un accord historique visant à réformer le système fiscal international avec la mise en place d’une taxe à 15 % sur les profits des multinationales logés dans des paradis fiscaux. L’accord doit entrer en vigueur en 2024 mais il a été considérablement affaibli et vider de sa substance avec la mise en place de mécanismes dérogatoires. Preuve de la difficulté de venir à bout des paradis fiscaux même en présence de consensus.

En France, plusieurs rapports ont été publiés allant dans le sens d’une taxation des plus riches. Ces travaux s’attèlent à la recherche du point d’équilibre entre justice fiscale et efficacité économique de l’impôt. Le rapport Pisani‑Mahfouz propose de taxer les plus riches pour financer une partie de l’investissement public nécessaire à la lutte contre le réchauffement climatique. Le rapport Mattei‑Sansu sur la fiscalité du patrimoine invite à la création d’un impôt temporaire sur le patrimoine des plus aisés, à l’échelle européenne, pour financer la transition écologique. Ce dernier rapport recommande aussi d’augmenter la « flat tax » sur les revenus du capital, de 30 % à 33 %, et prône une refonte de la fiscalité des holdings ou des successions. Les travaux d’Adrien Fabre portant sur la redistribution mondiale des richesses et qui propose entre autres un impôt mondial sur la fortune à hauteur de 2 % afin de financer les pays à bas revenus. Il y a également les travaux de Lucas Chancel qui défend le développement d’un impôt plus progressif sur les patrimoines supérieurs à un millions d’euro s’échelonnant de 0,5 % à 3 % pour financer la transition écologique. Enfin le rapport « Global tax evasion report 2024 » de M. Gabriel Zucman qui propose entre autres l’instauration d’un impôt minimum mondial sur les milliardaires équivalant à 2 % de leur patrimoine, la création d’un registre mondial des actifs, le renforcement des règles anti‑abus et la réforme de l’accord international sur la taxation minimale des sociétés pour mettre en place un taux de 25 % et éliminer les failles du dispositif qui encourage la concurrence fiscale.

Le point commun qui émerge de tous ces rapports est simple : afin de garantir un tant soit peu de cohésion sociale, il faut que les très riches contribuent à leur juste part à l’effort fiscal. Autrement dit, il faut davantage et mieux taxer les revenus et le patrimoine des très riches. C’est un constat de bon sens économique et un choix éthique.

Il est important de rappeler que ces inégalités face à l’impôt sont la conséquence d’une architecture fiscale favorable aux plus riches s’appuyant sur la non progressivité de l’impôt. C’est là le signe de l’échec de l’impôt sur le revenu, supposée clé de voûte de la progressivité fiscale et qui ne parvient pas à taxer convenablement les très hauts revenus. L’une des réponses à apporter à cette situation est celle proposé par les rapports cités : instaurer un impôt sur les très grandes fortunes. Plus précisément, taxer directement les fortunes pour éviter la dissimilation du revenu économique. C’est la raison pour laquelle cet impôt devra inclure les biens professionnels et ne pas comporter de plafond. C’est le sens de l’une des propositions du rapport de Global tax evasion report 2024.

La mise en place d’un tel impôt ne pourra pas se faire à l’échelle nationale. En effet, si la France était seule à mettre en place une taxation sur les personnes détenant des hauts revenus, ne partiraient‑elles pas ailleurs où le système fiscal leur serait plus favorable ? C’est la raison pour laquelle le seul projet pertinent de taxation des hauts revenus ne pourra voir le jour qu’à l’échelle européenne. Il faut impérativement aller vers des formes d’harmonisation de la législation fiscale et réfréner la course au moins‑disant fiscal. Il n’est plus acceptable que certains États se privent délibérément des recettes dont ils ont besoin au seul prétexte du ruissellement.