EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Cette proposition de loi a été initiée par des salarié.es et les représentant.es du personnel de l’entreprise sous‑traitante creusoise d’équipementier automobile, GM&S La Souterraine.
Mise en liquidation judiciaire en mai 2017, l’entreprise ‑ désormais renommée LSI (La Souterraine Industry) ‑ a été reprise en septembre 2017 par GMD, un groupe industriel composé de 26 sites dont 11 à l’étranger et qui emploie 4 800 personnes dont 3 900 en France.
Cette reprise du site creusois par GMD s’est effectuée au prix d’un plan de sauvegarde de l’emploi pour plus de la moitié de ses salarié.es (157 sur 277) et sur l’engagement, devant l’État, des deux principaux donneurs d’ordre, PSA et Renault Nissan, de commandes permettant d’asseoir sur les cinq années à venir un chiffre d’affaires annuel de 22 millions d’euros.
Pourtant, à l’heure actuelle, l’entreprise ne fonctionne plus qu’à 30 % de son potentiel. PSA et Renault n’ont pas honoré leurs engagements, commandant à eux deux pour seulement 13,9 millions d’euros en 2019, 8,6 millions d’euros en 2020 et 9,39 millions d’euros en 2021. Enfin, depuis septembre 2017, seule une cinquantaine de salariés ont retrouvé un contrat à durée indéterminé (CDI) dans le cadre de la cellule de reclassement mise en place à l’automne 2017.
Sans dédouaner les actionnaires et les directions successives de leurs responsabilités, ce contexte éprouvant jette une lumière crue sur la dépendance démesurée des sous‑traitants vis‑à‑vis des donneurs d’ordre. Une dépendance visible dans l’organisation, la structuration et la gestion des sites, avec la complicité des directions successives. C’est pourquoi, les salarié.es de la GM&S La Souterraine ainsi que leurs représentant.es ont rédigé une première proposition de loi pour contraindre les donneurs d’ordre à assurer socialement et financièrement les conséquences de leur désengagement auprès de leurs sous‑traitants.
Ce travail a donné lieu au dépôt d’une proposition de loi le 12 mai 2020 à l’Assemblée nationale par les groupes parlementaires de la France Insoumise et de la Gauche Démocrate et Républicaine. En juillet 2021, le sénateur Gay a rencontré les salarié.es de la GM&S La Souterraine, et le groupe Communiste républicain citoyen et écologiste du Sénat a entamé des réflexions qui ont abouti à la rédaction de cette proposition de loi, en s’appuyant sur de nombreuses contributions d’organisations syndicales et de personnalités ayant participé à la lutte au côté des salariés.
Le régime de la sous‑traitance industrielle est défini en France par la loi de 1975, initialement mise en place pour le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) et étendue à l’ensemble des secteurs. Si les dispositions de la loi de 1975 ont permis une première avancée, face à l’extension du recours à la sous‑traitance par les entreprises, les règles sont insuffisantes pour protéger les sous‑traitants dans la relation déséquilibrée qui les lie aux donneurs d’ordre. Tous les rapports sur la relation sous‑traitants et donneurs d’ordre pointent notamment la nécessité de définir la sous‑traitance industrielle et de la doter d’un cadre plus protecteur pour les sous‑traitants.
Par ailleurs, depuis février 2017, les entreprises transnationales sont tenues de mettre en œuvre des plans de vigilance pour prévenir les atteintes graves à l’environnement et à la santé, et donc d’identifier les risques sur toute leur chaîne de fournisseurs afin de préserver la société et les consommateurs.
C’est aussi le sens du décret n° 2022‑607 du 22 avril 2022 modifiant le décret n° 2021‑844 du 29 juin 2021 relatif au fonds exceptionnel d’accompagnement et de reconversion des salariés licenciés de la filière automobile, édicté suite à la lutte des salariés‑es de la SAM, sous‑traitant automobile de Renault.
Il est désormais temps d’élargir ce devoir de vigilance aux risques sociaux et économiques que ces grandes entreprises font peser sur leurs sous‑traitants et sur leurs salarié.es. Leur responsabilité doit en effet s’étendre aux impacts de leurs choix stratégiques sur l’ensemble de la filière. Cet appel à responsabilité a pris plusieurs formes mais reste sur le fond soit un simple accompagnement des stratégies des entreprises sans prise en compte de la problématique territoriale, soit des déclarations de bonnes intentions telles qu’en 2010, la charte de la Médiation du crédit et de l’Association des acheteurs de France (CDAF) régissant les relations entre grands donneurs d’ordre et petites et moyennes entreprise (PME), ou encore à la fin de l’année 2009, les États généraux de l’Industrie qui ont débouché sur les Chartes automobiles puis sur le Fond de modernisation des équipementiers automobiles.
Plus récemment, la question de la responsabilité des donneurs d’ordre a été évoquée par le rapport d’information du 26 juin 2019 concluant les travaux de la mission d’information présidée par le député Denis Sommer sur les relations entre grands donneurs d’ordre et sous‑traitants dans les filières industrielles. Là aussi sans suite.
Parce que la relation entre les donneurs d’ordre et les entreprises sous‑traitantes est une relation asymétrique, la présente proposition de loi vise à prendre en compte la dépendance structurelle des entreprises sous‑traitantes et à réduire ses effets, notamment par la mise en place de contrats‑types. Dans un objectif de protection des sous‑traitants et de lutte contre les mauvaises pratiques, il est nécessaire de promouvoir la mise en place de contrats types adaptés au niveau de chaque filière ou secteur par une négociation entre les acteurs concernés.
La responsabilité des donneurs d’ordre doit être à la hauteur du pouvoir qu’ils ont sur leurs sous‑traitants et les salarié.es des sous‑traitants qui doivent bénéficier d’une protection. De surcroît, il est nécessaire de responsabiliser les donneurs d’ordre vis‑à‑vis des décisions qu’ils peuvent prendre non seulement pour les sous‑traitants, pour les salarié.es mais aussi pour les territoires. La proposition de loi vise à renforcer la responsabilité économique et environnementale de l’entité donneuse d’ordre vis‑à‑vis de ses sous‑traitants.
L’organisation de la sous‑traitance conduit à séparer la production en entités faussement indépendantes. Aujourd’hui, les intérêts des sous‑traitants et de leurs salarié.es ne sont pas pris en compte dans la gestion de l’entreprise donneuse d’ordre. La proposition de loi entend y remédier en les intégrant dans les comités de groupe des donneurs d’ordre de façon à recevoir une information complète, identique et simultanée sur les implications et les conséquences socio‑économiques de leurs choix.
L’enjeu de la politique d’achat va au‑delà de la rentabilité de la seule entreprise donneuse d’ordre. Elle a un impact sur la bonne santé de tout le tissu industriel et sur les bassins de vie. La proposition de loi complète la liste des critères à prendre en compte par la proximité, les enjeux territoriaux et la durabilité de la relation sur les trois dernières années.
Les donneurs d’ordre doivent assumer une responsabilité environnementale au regard des dégâts environnementaux que leurs choix stratégiques génèrent. La proposition de loi étend cette responsabilité aux entreprises sous‑traitantes. Les fermetures d’entreprise génèrent des friches industrielles dont la réhabilitation doit être à la charge des décideurs.
Enfin, face à l’explosion de la pratique de la sous‑traitance en cascade où les entreprises sous‑traitantes font elles‑mêmes appel à d’autres entreprises pour réaliser tout ou partie d’un projet pour lequel elles ont été sollicitées, la proposition de loi entend limiter ce recours à la sous‑traitance en cascade.
L’article 1er permet de qualifier la relation entre donneur d’ordre et sous‑traitant dans le droit, afin que la nature de la relation commerciale inégale qui les unit soit reconnue et donne lieu à une responsabilité sociale économique, juridique et environnementale.
Cette relation est établie en fonction de deux critères alternatifs :
– de la taille du périmètre du donneur d’ordre : une entreprise d’au moins 1 000 salariés en son sein ou dans ses filiale directes ou indirectes
– ou dont la relation avec le sous‑traitant représente au moins 30 % du chiffre d’affaires de ce dernier sur les trois dernières années.
Nous reprenons en cela les préconisations du rapport d’évaluation de l’Assemblée nationale de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, du 24 février 2022.
De plus, le seuil de 1 000 salariés est déjà repris par de nombreuses dispositions telles l’obligation de revitalisation du bassin d’emploi, le congé de reclassement, l’obligation de rechercher un repreneur ou la mise en place d’un comité d’entreprise ou de groupe européen.
Enfin, elle s’inscrit dans les pas de la proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance qui impose une obligation de vigilance aux entreprises de plus de 500 salarié.es en moyenne ayant réalisé un chiffre d’affaires net mondial de plus de 150 millions d’euros au cours du dernier exercice ainsi qu’aux entreprises qui emploient entre 250 et 500 salarié.es en moyenne et ayant réalisé un chiffre d’affaires net mondial de plus de 40 millions d’euros au cours du dernier exercice, à condition qu’au moins 50 % de ce chiffre d’affaires ait été réalisé dans un ou plusieurs des secteurs identifiés à haut risque, tels que le textile, l’agriculture ou les matières premières.
L’article 2 prévoit d’une part, l’intégration des entreprises sous‑traitantes, ainsi que leurs représentant.es du personnel, dans le Comité de groupe des donneurs d’ordre afin de permettre l’implication conjointe et solidaire de l’entreprise donneuse d’ordre au côté de la sous‑traitante dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
Nous proposons, enfin, de créer une institution représentative du personnel spécifique aux relations de sous‑traitance regroupant les salariés des sous‑traitants, considérés comme formant une même communauté de travail avec des intérêts communs. Le comité de groupe se réunit au moins une fois par semestre sur convocation de son président ou si au moins l’un des représentant.es d’une entreprise sous‑traitante en fait la demande expresse et motivée.
L’article 3 prévoit d’associer les sous‑traitants aux décisions stratégiques du donneur d’ordre permettant ainsi un meilleur accès aux informations afin de les mettre en situation de mieux définir leur stratégie industrielle. Les entreprises sous‑traitantes ou prestataires, ainsi que leurs institutions représentatives du personnel reçoivent ainsi des informations sur la réalité et la projection d’activité, d’évolution des effectifs, le besoin en qualification et compétences, et les évolutions technologiques.
Enfin, cet article prévoit de rendre obligatoires les informations sur la sous‑traitance et de permettre aux représentant.es des sous‑traitants d’être présent.es avec voix consultative lorsque ce point est à l’ordre du jour du Comité de groupe.
L’article 4 prévoit la réalisation obligatoire et préalable d’une étude d’impact lorsqu’intervient un changement d’orientation technique, normatif ou économique ayant un impact sur l’activité d’un sous‑traitant dans le cadre du plan de vigilance prévu par la loi du 12 juillet 2017. Actuellement, les entreprises donneuses d’ordre qui procèdent à des licenciements collectifs affectant l’équilibre d’un bassin d’emploi sont exonérées de toute responsabilité à l’égard des salarié.es de leurs sous‑traitants.
L’article 5 responsabilise les donneurs d’ordre en mettant en place lors d’une restructuration ou d’une réduction d’effectifs conduisant à des licenciements collectifs pour motif économique par le sous‑traitant, une négociation préalable et obligatoire avec les entreprises sous‑traitantes. En l’absence d’accord, le donneur d’ordre contribue à hauteur de ses moyens au plan de reclassement visé à l’article L. 1233‑62 du code du travail. Le document unilatéral définissant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi est apprécié au regard des moyens de l’ensemble formé par le donneur d’ordre.
Le comité de groupe de sous‑traitance est informé et consulté pour avis sur les mesures envisagées par le donneur d’ordre pour contribuer au contenu du Plan de sauvegarde de l’emploi du sous‑traitant en cas de licenciements collectifs pour motif économique du donneur d’ordre.
L’article 6 prévoit qu’en cas de licenciement collectif affectant, par son ampleur, l’équilibre du ou des bassins d’emploi dans lesquels elles sont implantées, un ou des donneurs d’ordre, seront personnellement débiteurs de l’obligation de contribuer à la création d’activités et au développement des emplois et d’atténuer les effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises dans le ou les bassins d’emploi.
L’article 7 prévoit la création d’un groupe de reclassement au sein duquel les possibilités de reclassement des salarié.es du sous‑traitant doivent être recherchées. Cet article n’a pas la volonté de dédouaner les donneurs d’ordre de leurs responsabilités sociale et envers les territoires, il ouvre simplement une possibilité de proposer de reclassement aux salariés qui le souhaiteraient.
La négociation collective d’entreprise ou inter‑entreprises serait en matière de gestion des emplois et des parcours professionnels (G.E.P.P.) en faveur des salariés des sous‑traitants. En effet, mener cette négociation collective au niveau inter‑entreprises permettrait d’associer à la négociation les sous‑traitants et syndicats représentatifs des salariés des sous‑traitants dans la définition de mesures de G.E.P.P. Elle permettrait de prévenir d’éventuels licenciements économiques chez les sous‑traitants en accompagnant le changement notamment à la suite de la définition de nouvelles orientations stratégiques du donneur d’ordre.
L’article 8 prévoit que les donneurs d’ordre, informés du non‑paiement partiel ou total du salaire minimum légal ou conventionnel dû au salarié de son co‑contractant, d’un sous‑traitant direct ou indirect ou d’un co‑contractant d’un sous‑traitant, enjoint aussitôt, par écrit, à ce sous‑traitant ou à ce co‑contractant de faire cesser sans délai cette situation, et ce quelques soient les conditions d’effectifs, de volume, et d’ancienneté de la relation de la sous‑traitance.
L’article 9 élargit au donneur d’ordre la responsabilité au titre du principe pollueur payeur. Il instaure un principe de co‑responsabilité du donneur d’ordre pour les dégâts environnementaux créés par l’activité du sous‑traitant. Il s’agit d’ajouter au principe pollueur payeur cette responsabilité solidaire. La relation de sous‑traitance tend à déresponsabiliser les donneurs d’ordre y compris vis‑à‑vis de l’environnement.
Mais le déséquilibre entre les parties peut conduire celui‑ci à imposer des conditions ne laissant que peu de choix au sous‑traitant de prendre des risques environnementaux. Le sous‑traitant en est déjà pleinement responsable en application du principe pollueur payeur. Il s’agit d’encourager les pratiques vertueuses des donneurs d’ordre dans leur politique d’achat et leur rapport à leur sous‑traitant en les coresponsabilisant à l’égard des éventuels dommages causés à l’environnement.
L’article 10 s’inspire de la proposition n° 10 du rapport sénatorial « Les relations entre donneurs d’ordre et sous‑traitants dans le domaine de l’industrie » de mai 2013, préconisant la rédaction d’un contrat écrit définissant les rapports entre les parties à partir d’un montant fixé par décret. À défaut de clauses–types par filières, le contrat écrit signé entre les parties, les conditions générales de vente s’appliqueraient de plein droit aux relations commerciales entre donneurs d’ordre et sous‑traitants.
L’article 11 oblige les entreprises donneuses d’ordre de recourir à une assurance pour couvrir le risque de non‑paiement à leur sous‑traitant et fournisseurs. Aujourd’hui, cela ne s’applique en l’état qu’aux grandes entreprises (article 14‑2 de la loi 1975) et calqué sur le modèle des AGS pour les salariés.
L’article 12 souhaite lutter contre les mauvaises pratiques, c’est‑à‑dire faire obstacle aux pratiques qui consistent à localiser le lieu de facturation à l’étranger afin de rendre inapplicable la loi française en matière de délais de paiement en affirmant le caractère d’ordre public de l’article et la localisation du sous‑traitant comme critère unique de détermination de la loi applicable.
L’article 13 propose d’interdire à une entreprise sous‑traitante ou à une entreprise principale, au sens de la loi de 1975 sur la sous‑traitance, de sous‑traiter plus d’un tiers du travail qui lui est confié sans l’autorisation du donneur d’ordre et/ou du maître d’ouvrage.
L’article 14 vise à intégrer la pondération de ces différents critères dans leurs bases de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). En effet, les donneurs d’ordre prennent leur décision d’achat au regard d’une multiplicité de critères : prix, certifications qualité de la profession, certifications environnementales, proximité géographique, ancienneté de la relation d’achat.
Il a aussi pour objet de formaliser dans la loi les expériences de médiation jusqu’à présent embryonnaires entre entreprises donneuses d’ordre et sous‑traitants pour prendre en compte les contraintes des sous‑traitants et des territoires dans lesquels ils interviennent